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                   LE MARIAGE DE SÉVERINE                            183
 qu'elle me rendait responsable de l'état dans lequel nous végétions,
 comme elle disait parfois avec amertume, et où, si elle l'avait vou-
 lu, mon bonheur eût été sans nuage, entre elle et ma petite
 Séverine.
    « Cependant, las de ces reproches muets, de cet air de souffrance
 et de résignation, chez une femme que j'adorais, et pour qui j'aurais
 donné jusqu'à la dernière goutte de mon sang, je finis par me de-
 mander si je n'étais pas coupable de négligence? Oui, tel fut mon
 aveuglement ! Au lieu de ramener doucement à la raison une fem-
me injuste, ou même d'invoquer, pour me faire entendre, mon
autorité de chef de famille, au lieu de lui faire comprendre que
c'était tenter Dieu de désirer ce que nous n'avions pas, loin de
nous montrer reconnaissants de ce qu'il nous avait donné, je me
mis à rêver aux moyens d'arriver, moi aussi, en peu de temps à
la richesse. Mon excuse, ma chère Glotilde, était cette femme que
j'adorais, je vous le répète, et ma petite Séverine que mon orgueil
paternel se représentait déjà, belle et riche héritière.
   « En ce moment passa à Paris un Anglais, fils d'un de nos corres-
pondants de Londres, sachant, comme tous ses compatriotes, join-
dre en affaires, la prudence à l'esprit d'initiative. Il allait fonder un
établissement dans un endroit encore peu connu des Indes-Orien-
tales, mais qu'il sentait appelé, dans un court délai, à prendre une
grande extension. Dans les rapports que nous eûmes ensemble)
 nous nous appréciâmes mutuellement : il se prit d'amitié pour moi
et me proposa de l'accompagner.
   « L'offre étaitséduisante ; il m'assurait, outre un beau traitement,
une part considérable dans les bénéfices. Mon patron, qui me por-
tait un réel intérêt, m'engageait fort à accepter; cela me décida
tout à fait. En prévision d'une absence qui pouvait être longue, je
pris les arrangements nécessaires pour ma femme et mon enfant,
que je ne .pouvais emmener, puis je me mis en route, priant Dieu
de bénir une entreprise où ne me poussait nullement l'ambition
personnelle, mais bien le désir d'assurer le bonheur de ce qui
m'était le plus cher au monde.
   «Je passerai rapidementsurle temps que je demeurai là-bas; qu'il
vous suffise de savoir, ma chère Glotilde, que je travaillai avec
opiniâtreté, et que je vis mes efforts couronnés de succès; au bout