Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                       JOANNY DOMER                        327

Il me regarderait crayonner sur un mur. Comment devine-
rait-il ce que je veux faire? Je l'ignore souvent moi-même. »
    Un seul trouva grâce devant cette exclusion systématique,
ce fut Baûer, un maître à son tour aujourd'hui, qui entou-
rait Domer d'une si vive affection, d'une si profonde
reconnaissance.
    Longtemps plus tard, j'eus le plaisir de faire agréer dans
son atelier Léon Gaborit qui obtint, cette année, à l'Ecole
des Beaux-Arts, le prix Ponthus-Cinier, et le grand prix
de Paris. Je ne crois pas que Domer ait jamais eu d'autres
élèves.
    Domer aimait à s'isoler, ai-je dit. Combien de fois
n'avez-vous pas vu attablé, solitaire, devant le Tonneau ou
le Bar Américain, ce petit homme trapu, au grand front
encadré de cheveux gris, aux yeux profonds, pétillants et
bons, à la barbe grise en broussaille, la bouche toujours
souriante, les lèvres épaisses, caressant perpétuellement
une courte pipe en terre, noire de culottage ?
    C'était Domer; la tête penchée sur le marbre de la table,
l'artiste ne voyait personne et oubliait son absinthe qui se
chauffait voluptueusement au soleil. Un crayon à la main,
il traçait des hiéroglyphes, langage fermé aux profanes,
mais qui, pour lui, réalisait toute une idée.
    Soudain une forme se dessinait, un groupe se détachait,
fière ébauche aux lignes franchement coupées.
    Alors, Domer relevait la tête et songeait à l'ami qui
 s'était attablé silencieusement à côté de lui pendant sa mé-
 ditation. Que lui importait! Il avait trouvé, il avait entrevu
 de son Å“il d'artiste, avec ce don de double vue qu'ont
seuls les penseurs, un anneau de ces merveilleuses épopées
qui se déroulent aujourd'hui sous nos vastes coupoles.
    D'un revers de manche les traits s'effaçaient, et Joanny