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VICTOR DE LAPRADE 371 Comme a l'arbre, en effet, il lui faut la montagne pour que son front reflète les rayons de la poésie; comme l'arbre, il est nourri des esprits de la terre, et plongeant dans son sein, il en sent, il en voit, il en raconte les secrets. Lui- même est un esprit revêtu d'écorce et de verdure. Son génie s'est incarné dans le chêne. Son vers en a l'ampleur majes- tueuse, la sonorité solennelle et l'ombre froide. Il faut cependant corriger le sens de ces derniers mots. Trompés sans doute par la première impression que pro- duisent les œuvres de Laprade sur les lecteurs superfi- ciels, la plupart des critiques semblent lui refuser la chaleur de l'âme. Mais l'âme vit réellement et palpite sous cette écorce. Je ne craindrai même pas d'avancer que le senti- ment, latent en apparence, est plus vrai, plus intense, plus profond chez ce poète que chez beaucoup de ses contempo- rains qui passent pour être très-émus et qui n'ont que de la sentimentalité. Il n'a pas de sanglots déchirants, pas de dé- sespoirs échevelés, ni de ces cris de théâtre qui ont plus de retentissement encore dans la tête que dans le cœur. Des larmes, contenues peut-être, toujours nobles d'ailleurs et qui se respectent, tombent sur ses vers comme des gouttes d'eau brûlantes, présage de l'orage, dans une urne de mar- bre; elles résonnent dans le cœur sans l'amollir. L'indigna- tion ne lui est point inconnue, mais elle est sincère, parce qu'elle est spontanée. Une des particularités remarquables de l'auteur des Odes et des Poèmes évangèliques, c'est cette pudeur elle-même dans l'émotion. En présence de tant d'élé- gies vaguement ou faussement larmoyantes qui ont gâté la poésie contemporaine, il retient cette émotion avec effort, comme on refoule ses pleurs devant une douleur hypocrite. La vie entière de Victor de Laprade a été consacrée a la solitude, et sa jeunesse dut l'être à la contemplation de la