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34G POÉSIE. VATES. Depuis qu'au seuil d'Eden Dieu posa son archange, Le monde a beau rouler de Césars en Césars, Essayant de fixer la fortune qui change Et, près de l'archipel ou sur les bords du Gange, Laisse toujours la barque au milieu des hasards ; Le monde a beau monter son cheval de bataille, Donner des ailes d'aigle à chacun de ses pieds, Et pour franchir au vol l'éternelle muraille, Mettre un siècle d'élan au corps des écuyers ; Le monde a beau frémir, s'allumer et se tordre, Comme la forge au feu sous un souffle puissant, S'attacher aux parois, les lécher et les mordre Pour brûler au travers et les tordre en passant ; Non, répond une voix qui fit surgir ce monde, Toi, tu ne brilleras qu'en ta fosse profonde, Toi, tu ne toucheras aux créneaux que du front, Toi, tu te briseras sur le premier bas fond, Et vous saurez qu'aux pas d'un homme, quoi qu'il fasse, Dans le creux de ma main j'ai mesuré l'espace, Et que, s'il veut franchir la limite, je passe Et l'homme à mes regards comme la neige fond. Oui, levez le granit où, calmes et terribles, Aux regards comme au bruit toujours inaccessibles Les sombres Pharaons, dans la pourpre de Tyr, Au milieu du désert voulurent s'endormir ; Au pied du Palatin ramassez de la fange Faite des ossements de la grande phalange De ces fléaux que Dieu fit naître eu deux mille ans, Et venez demander à contempler leur face, Si dans son vieux limon il en a gardé trace, Au Tibre où leurs chevaux se sont lavé les flancs. Eh bien ! qu'ils aient vagi dans un palais de glace, Qu'au milieu des lilas ils aient ouvert les yeux, Ou que le sable nu, sous le dôme des cieux, A leur berceau tremblant ait offert une place,