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448                     BEAUX ARTS.

faire les honneurs de son concert aux illustres, sans
crainte d'être écrasé.
    Et voilà encore du surprenant; il n'y avait pour ré-
chauffer l'auditoire et le tenir en éveil ni l'excellent
orchestre du théâtre, dont l'intervention avait été juste-
ment appréciée au premier concert, ni l'attrait d'une
belle ouverture, ni celui de deux voix sympathiques. Le
 piano seul pendant deux heures et demie, sans arriver à
 la fatigue, sans que les oreilles soient blasées, sans que
 le charme soit rompu. Il faut être Rubinstein ou Litz
 pour arriver à ce résultat. — D'où vient-il? De la puis-
 sance du vrai, on entend de la vraie musique au lieu d'as-
 sister à une exhibition de tours de force vides de senti-
  ment. C'est pourtant un tour de force que cette souplesse
  de talent, que cette netteté, cette précision qui ne se
  démentent jamais; que cet art et ce mens divinior qui
  font apercevoir toutes les notes dans leurs successions
  les plus rapides, dans leurs nuances les plus opposées.
     On croirait par moment être en face d'un orgue ; c'est
  une sonorité gigantesque et pourtant, au milieu de ce
  tonnerre, on distingue tous les dessins,toutes les réponses,
  tous les traits dont les intentions et le dialogue devien-
  nent aussi clairs que d'innocentes causeries d'une sonate
  enfantine; puis viennent des accents semblant émaner
  d'un instrument de toute autre nature; là, un cantabile
  large et soutenu, un chanteur des grandes écoles d'au-
  trefois, là des murmures étranges dont on ne reconnaît
  pas les provenances, comme la ravissante barcarolle de
  la fin. Est-ce bien un piano ? Est-ce un rêve, une vision, un
  effet d'acoustique obtenu par des instruments cachés ?
  Non, c'est seulement un piano d'Erard et un magicien,
  M. Rubinstein.
     Qu'il faut peu de chose au génie pour être toujours