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442 LE PAGE DU BAROK DES ADRETS. Les deux fugitives prirent les grandes allures, vigilan- tes, attentives, la main aux armes et sondant les buis- sons du regard. Sur cette frontière désolée, on pouvait aussi bien redouter un groupe de malandrins qu'un posle régulier de huguenots. Mais nos deux héroïnes avaient fait la guerre ; elles avaient compté, dans le dan- ger, sur la sûreté de leur coup d'œil et l'audace de leur courage et, en courant les périls réels qu'elles affrontaient, en livrant leur destinée et leur salut à la force de leurs bras et à la vitesse de leurs chevaux elles se retrouvaient dans un élément qu'elles connaissaient, dans un milieu qui pour elles n'était pas sans char- mes. A l'endroit où la France finit et où la Savoie com- mence, le Rhône, sans digue et sans frein, s'étend, se répand et inonde la contrée, contourne les champs qui lui résistent, entame et coupe ceux qui loi cèdent, jette ses ondes par cent canaux, s'ouvre une foule de lits qu'il change suivant son caprice et forme une multitude de petites îles inhabitées, couvertes d'herbes et d'arbris- seaux ; on dirait qu'oubliant les siècles de civilisation qui ont passé sur la patrie, il est resté un de ces vieux fleuves sauvages de la Gaule, sur les bords desquels les chasseurs d'ours et d'aurochs bâtissaient, pour une saison, des cabanes de terre et de bois. Non loin de là , une petite ville s'élève. A l'abri du gros château qui couvre la colline, Mont- luel offre, à côté de la barbarie du fleuve indompté, tous les raffinements du monde et de l'industrie. Dès l'antiquité, on avait cité ia beauté de ses femmes, l'é- nergie et la vaillance de ses hommes. Près de ses murs,