page suivante »
LES LISEUSES DE ROMANS CROQUIS GENEVOIS. Êtes-vous vieux, cassé, infirme, sans mémoire, sans ouïe, ne pouvant jouir ni des charmes de la promenade, ni de ceux d'une causerie amicale, lisez des romans ; ils vous amuseront peut-être, et si vous n'en retenez rien, comme c'est très-probable, le mal ne sera pas grand; mais si vos sens sont actifs, vos facultés entières, réservez-les pour accroître votre instruction, orner votre mémoire de choses dont vous puissiez vous faire honneur dans le monde, éclairer votre jugement, enrichir votre esprit, et n'allez point perdre un temps précieux, ni enflammer votre imagi- nation avec des lectures toujours frivoles et souvent dange- reuses. Cette manière de voir n'est pas celle du jour, je le sais : le roman est de toutes les productions actuelles la plus a la mode, la plus recherchée, celle qui pullule le plus ; les dames surtout adorent les infortunes brochées, les as- sassinats reliés et les amours imaginaires qui remplissent les magasins de lecture. La colossale bibliothèque d'Alexan- drie que fit brûler Omar n'aurait point suffi à leur désir de lire, si elle eût été composée de romans; elles les ava- lent comme des œufs frais ; elles parquent leur intérêt le plus tendre, leurs sollicitudes les plus vives dans ces sé- duisantes aventures qu'inventent les cervelles délirantes des