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J. TERRAS ET Ce. 293 combattre ou du moins contenir dans de justes limites, c'est ce grand appétit d'immolation. On lui défendra d'im- moler son amour, ce qui est déjà un crime, et surtout d'immoler Gaston, qui en mourrait infailliblement. Si elle ne peut se passer de sacrifice, on lui conseillera d'en risquer un vraiment noble et méritoire, celui de cette vile fortune, qui met an abîme entre deux cœurs aimants. On lui laissera croire, provisoiremenr bien entendu, que l'amour n'a pas besoin d'or mais de liberté, la liberté de s'aimer dans la chaumière traditionnelle. Suivaient les excitations à la ré- volte, a l'affranchissement, a la fuite enfin. Nous ne- pouvons suivre pas a pas l'intoxication progres- sive de ce jeune cerveau. Nous nous bornerons a constater le résultat obtenu en six mois de ce travail incendiaire. Ce fut un scandale dont on se souvient encore. Un matin, Nélida, ne paraissant pas au déjeuner, on pé- nétra dans sa chambre. On ne l'y trouva point. La lettre suivante expliquait à la tante l'absence de sa nièce depuis la veille au soir. Ma bien chère tante. Quand vous ouvrirez cette lettre, mon amour sera sorti vainqueur des vains préjugés d'une société absurde. Je n'emporte qu'un regret, celui de tromper une tante qui m'a servi de mère et que tout me fait un devoir de chérir. Mais un sentiment plus impérieux et plus sacré me commandait ce sacrifice. Mon cœur ne vous fait pas un crime de vos refus obstinés de bénir notre union et de faire notre bonheur ; vous ignorez ce que c'est que l'amour, cette flamme divine..., etc., etc. Privez-moi de votre fortune, si vous le désirez ; je possède un trésor plus précieux : j'aime Gaston, je suis à lui pour la vie. Si vous saviez... si vous le connaissiez!... Il voulait mourir... pouvais-je hésiter?... Je pars; ne me maudissez pas!... Laissez-moi espérer que vous pourrez nous pardonner un jour... Adieu ! chère tante, adieu ! Votre nièce à jamais reconnaissante, NÉLIDA.