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f.HARLHS. 445 de ses yeux. Depuis plusieurs mois, il avait pris l'habitude d'errer seul, semblable à une créature maudite. En le regar- dant passer, lui que personne n'abordait, qui ne tendait la main à personne, toujours pensif, toujours fier et dédaigneux, chacun demandait : — Quel est-il? Alors, parmi ceux qui le connaissaient ou s'imaginaient le connaître, les uns disaient: — C'est un original; d'autres répondaient: —C'est un fou. Les hommes positifs, naturellement portés à se croire du génie parce qu'ils ont le cœur sec, affectaient de le mépriser. Au contraire, les bonnes gens murmuraient : — Quel dom- mage ! El ses amis, l'œil humide, le cœur serré, l'observaient tristement de loin, n'osant plus aller le rejoindre, certains d'être repoussés avec colère. L'infortuné en était venu à ne voir dans les relations les plus intimes, comme dans les plus ordinaires, que des manœuvres d'ennemis occupés à le trahir. Pendant ce temps, silencieux, impassible, il allait, il reve- nait dans la foule, toujours en ligne droite et par le même chemin, comme si la promenade eût été déserte. Il parcou- rait de préférence l'allée la plus fréquentée, celle où, sur une triple rangée de chaises, s'asseyait le monde fashionable. On eût dit qu'il voulait braver, et c'est qu'il bravait, en effet, les mille propos soulevés par sa présence. Le sourire mé- prisant de ses lèvres contractées, sa démarche grave et lente, son front chargé de sombres nuages, décelaient un mortel dégoût des choses d'ici-bas, et ces tortures morales dont l'â- creté ronge sourdement les racines de la vie. Simple, mais d'un goût parfait, sa mise n'offrait aucune des négligences ordinairement inséparables du trouble de l'esprit. Une longue barbe noire, entretenue avec soin, descendait sur sa poitrine en touffes abondantes. Parfois autour de lui se trouvaient des êtres assez déplorablement nés pour oser tourner en dérision cette touchante misère ; mais qu'une inflexion de voix trop ironique arrivât jusqu'à son oreille, alors il dirigeait de ce