page suivante »
kkk CHARLES. leurs joies vagabondes, mille cercles capricieux; tantôt pour défier les jarrets les plus nerveux, il s'élançait avec l'essor d'une rapide fusée, devançait en un clin-d'œil ses rivaux hale- tants, puis laissait épanouir son vol en toutes sortes de tours bizarres, où d'autres que lui se seraient tués. Souvent, pour échapper aux importuns, il fuyait à tire-d'aile vers le cou- rant, conservant son impétuosité jusqu'à quelques pouces du gouffre, et quand un cri d'effroi s'échappait de toutes les poi- trines, il se détournait avec une adresse incomparable, glis- sant plus prompt qu'une flèche sur l'extrême bord de la glace et narguant ainsi les plus audacieux qui s'arrêtaient trem- blants. Enfin, lorsqu'il eut assez joui de son triomphe, un dernier élan le ramena vers la chaussée. Chemin faisant, il déboucle les courroies; puis arrivé, il renvoie les patins d'un coup de pied à leur légitime propriétaire, se fraie lestement un passage au milieu de la foule ébahie, et disparaît. Eh bien ! le petit ramoneur, ce petit drôle, ainsi que l'appelaient, dans leur indignation, les gros messieurs, était tout simplement l'un des élèves les plus remarquables, l'une des plus belles espérances de l'école des Beaux-Arts de Lyon. Quelques années plus lard, en été, à l'heure où le soleil couchant promet un peu de fraîcheur et d'ombre, on rencon- trait sous les tilleuls de la place Bellecour un promeneur en possession d'exciter au plus haut degré la pitié des uns, l'in- térêt des autres, la curiosité de tous. Il avait de vingt-quatre à vingt-cinq ans. Sa taille était petite, mais parfaitement prise ; petits pieds, petites mains, articulations fines, vaste poitrine, attitude ferme et délibérée, le tout accompagné d'une force musculaire peu commune et d'une dextérité su- périeure à cette force. Depuis longtemps déjà l'abondante chevelure du bel âge n'ombrageait plus son large front. Ses traits offraient un rare mélange de délicatesse et d'énergie, et rien ne pouvait se comparer à l'expression inquisitoriale