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.380                      DE L'HOMME
les sociétés comme une des plus anciennes productions du
labourage; il n'y aurait pas de spectacle plus agréable que
de les voir se développer en paix sur la terre avec les nou-
velles moissons, et de les envisager comme un des premiers
présents que l'agriculture ait fait au genre humain.
    « Malheureusement, les choses n'ont pu se passer ainsi.
Les premiers hommes qui s'occupèrent à cultiver la terre, ou
à nourrir des troupeaux, ne furent pas les premiers qui se
rassemblèrent en corps de nation. Pour peu qu'on y réfléchisse,
on voit qu'il a dû arriver tout le contraire. L'agriculture n'est
pas la mère des sociétés, elle n'en est que la nourrice. La
découverte de cet art, quoique favorable à la population, bien
loin de réunir les familles, a Au d'abord les engager à
s'isoler. »
    Linguet prétend alors que les hommes féroces qui erraient
dans les bois, et que leur manière de vivre exposait souvent
â la disette, pendant que les laboureurs et les pasteurs ne
manquaient jamais de rien, se mirent un jour en tête de
s'emparer des champs cultivés et des troupeaux répandus
dans les pâturages, d'en dépouiller les propriétaires, de mas-
sacrer ces derniers, au moins en partie, et de réduire le reste
à l'état de servage.
    « Au milieu des plaines couvertes de bois, que les culti-
vateurs avaient abandonnées, au sommet des âpres monta-
gnes, se rassemblait véritablement, dit-il, une autre espèce
d'hommes qui voyaient avec des yeux jaloux les laboureurs
et les pasteurs. C'étaient les inventeurs de l'arc et de la flèche,
des chasseurs accoutumés à vivre de sang, à se réunir par
bandes pour surprendre et terrasser plus aisément les bêtes
 dont ils se nourrissaient, et à se concerter pour en partager
 les dépouilles. »