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482 complètement saisi, on n'y trouve nulle prétention à la couleur lo- cale, nul effort pour reproduire les lignes austères de la haute an- tiquité. Camille ou Julie, Servius Tullius ou Auguste, Horace ou Cinna sont contemporains. 11 n'est rien de tel chez M. Ponsard, — notre critique de Sextus réservée ; — l'antiquité chez lui conserve sa simplicité auguste, sa physionomie religieuse et grave, et cette paisible couleur est, à notre avis, une des plus touchantes beautés de Lucrèce. Cette vuo savante de l'âge presque encore patriarcal, puisée, nous le croyons, aux sources, rappelle cependant les poèmes immortels des Martyrs, d'Anligone et d'Orphée, les premiers es- sais, il nous semble de cette muse érudile ; et, si nous ne nous trompons, Lucrèce suppose ces poèmes et n'aurait osé, si elle l'eût pu, se produire avant eux. Que de détails gracieux et touchants, que de vers faciles et splen- didement colorés, que de tableaux aimables nous devons à ce procédé légitime! Et d'abord cette description du mariage antique, un peu longue pour la place, et de parti pris, mais qui, détachée de son cadre, est une peinture achevée : simplicité du tour, noblesse de l'expression, harmonie, rien ne manque pour faire de ces vers un morceau irréprochable. Nous pourrions citer vingt autres passages, où les usages anti- ques se rencontrent fort heureusement, sans effort, sans affectation, sans érudition plaquée, et comme sous la plume d'un homme qui sait son sujet ; cette sombre peinture d'un sacrifice à Romulus dans le songe, ces deux vers charmants de Sextus qui a tant de vers charmants : Et nous passions le temps à puiser dans les cruches Les meilleurs vins sabins mêlés au miel des ruches. Et cet appel lugubre au cadavre sanglant de Lucrèce, d'un effet imposant et plein d'émotion : Maintenant fermons-lui les yeux avec les doigts. E t comme c'est l'usage, appelons-la trois fois. Entends-nous, ô Lucrèce ! — 0 Lucrèce ! — 0 Lucrèce!