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nous gardons précieusement le souvenir embaumé ; mais
n'allons pas toujours chercher des sujets d'admiration dans
notre mémoire, jamais sous nos yeux. Que le poète Lebrun a
bien raison de le dire :

                La mémoire est reconnaissante ;
                Les yeux sont ingrats et jaloux.
    Oui, quoiqu'en disent les louangeurs du temps passé, no-
tre époque a son prix. L'inspiration arrive encore d'en haut
jusqu'à cette terre où nous sommes. Les deux ne sont pas
tout à fait, pour nous, fermés el devenus d'airain. Et, de
par tous les dieux ! voyons, en fin de compte, ce que nos
devanciers immédiats nous ont légué de si supérieur à ce
que nous léguerons à nos survivants. Que tenons-nous de la
république, sinon les tragédies de Chénier, de La Harpe et
de Legouvé? Sont-ce donc là des chefs-d'œuvre à nous faire
rougir de honte? Et l'Empire n'a-t-il pas vécu de peu, lui
aussi, l'Empire qui avait pourtant Talma ! Qu'a-t-il jeté en
 pâture à ce grand tragédien? Quelques pilles imitations de
Shakspeare, puis les Templiers, Artaxerce et Sylla. Est-ce
là de quoi faire notre plus grand désespoir? Observez toute-
 fois, en passant, que l'Empire était plus habile et mieux ins-
piré que notre époque, en ce sens seulement qu'il ne se dé-
 criait pas, qu'il ne se manquait pas à lui-même, qu'il accep-
 tait ses Å“uvres et s'en parait aux yeux de tous.
   Eh bien donc ? est-ce que ce temps-ci ne vaut pas ce
temps-là? Et s'il faut en venir aux noms tout à fait contempo-
rains, est-ce que quelques-unes des tragédies de Casimir De-
lavigne et de Soumet ne valent pas ces tragédies? Le Moise
de Chateaubriand, accepté comme grande élude biblique,
n'a-t-il pas redit quelque chose de la haute poésie d'Alhalie'l
Croyez-vous bien qu'il ne restera rien de la Lucrèce de M. Pon-
sard, cet inconnu qui vient de se faire hautement connaître?