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407 nous gardons précieusement le souvenir embaumé ; mais n'allons pas toujours chercher des sujets d'admiration dans notre mémoire, jamais sous nos yeux. Que le poète Lebrun a bien raison de le dire : La mémoire est reconnaissante ; Les yeux sont ingrats et jaloux. Oui, quoiqu'en disent les louangeurs du temps passé, no- tre époque a son prix. L'inspiration arrive encore d'en haut jusqu'à cette terre où nous sommes. Les deux ne sont pas tout à fait, pour nous, fermés el devenus d'airain. Et, de par tous les dieux ! voyons, en fin de compte, ce que nos devanciers immédiats nous ont légué de si supérieur à ce que nous léguerons à nos survivants. Que tenons-nous de la république, sinon les tragédies de Chénier, de La Harpe et de Legouvé? Sont-ce donc là des chefs-d'œuvre à nous faire rougir de honte? Et l'Empire n'a-t-il pas vécu de peu, lui aussi, l'Empire qui avait pourtant Talma ! Qu'a-t-il jeté en pâture à ce grand tragédien? Quelques pilles imitations de Shakspeare, puis les Templiers, Artaxerce et Sylla. Est-ce là de quoi faire notre plus grand désespoir? Observez toute- fois, en passant, que l'Empire était plus habile et mieux ins- piré que notre époque, en ce sens seulement qu'il ne se dé- criait pas, qu'il ne se manquait pas à lui-même, qu'il accep- tait ses œuvres et s'en parait aux yeux de tous. Eh bien donc ? est-ce que ce temps-ci ne vaut pas ce temps-là ? Et s'il faut en venir aux noms tout à fait contempo- rains, est-ce que quelques-unes des tragédies de Casimir De- lavigne et de Soumet ne valent pas ces tragédies? Le Moise de Chateaubriand, accepté comme grande élude biblique, n'a-t-il pas redit quelque chose de la haute poésie d'Alhalie'l Croyez-vous bien qu'il ne restera rien de la Lucrèce de M. Pon- sard, cet inconnu qui vient de se faire hautement connaître?