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1.83 Et puise dans mon verre un prestige vainqueur Qui d'abord la séduit et me soumet son cœur. Par ce prestige enfin la vieille est jeune encore, Et d'un attrait piquant la laide se décore. MOLIÈRE. Ce monde, sans mentir, me sourit et me plaît; Mais je vis de régime et ne bois que du lait. Je ne puis, comme toi, m'abuser sur les hommes, Changer en paradis cet enfer où nous sommes : J'ai trop souffert, Chapelle, et tu noîrais en vain Ma raison, ma mémoire au fond d'un broc de vin. Toi, rieur et léger, libre d'inquiétude, Faisant des vers charmants sans travail, sans élude, Et d'amours en amours promenant tes désirs, Toi qui trouves la gloire en cherchant les plaisirs, Heureux, tu vois partout le bonheur sur la terre. Oh! si du cœur humain lu sondais le mystère, Demandant en secret à ce cœur ténébreux Si l'homme est en effet heureux ou malheureux, Enigme dont le mot, qu'on cherche et qu'on redoute. De siècle en siècle échappe et nous laisse le doute : Peut-être qu'en pesant la joie et les douleurs Tu verrais dans nos jours moins de ris que de pleurs. Pour des projets sans fin une vie éphémère; Le plaisir un éclair, la gloire une chimère ; Au cœur un vide immense, un éternel désir D'un bien qu'on entrevoit sans pouvoir le saisir... Tel est l'homme... un secret plein de mélancolie, Et devant ce secret tout orgueil s'humilie. CHAPELLE. Mais tu vois trop en noir, Molière, el tes malheurs Teignent tous les objets de sinistres couleurs... Comme ton Misanthrope...