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                             BIBLIOGRAPHIE                                      219
onde. Qui donc a le courage de lire, et je le demande, qui donc, dans dix ans,
 lira l'Ane, le Pape, la Pitié suprême ? indigeste fatras où brille par instants
un furtif éclair qui rappelle les splendeurs éclipsées d'un génie autrefois incom-
parable ? Pauvre langue française, si limpide, si correcte, qui donc te reconnaî-
trait dans ces pages qu'aurait signées Lycophron ? Une implacable sénilité laisse
sa trace sur toutes les productions qui échappent encore à cette intelligence dé-
voyée.
    On dira peut-être à l'auteur: A quoi bon avoir remué cette poussière? pour-
quoi dédorer l'idole acclamée de la foule? Qu'importent ces détails minutieux dans
lesquels vous êtes entré?
    La raison en est simple. Si Victor Hugo n'avait point fait lui-même sa bio-
graphie, entassé erreurs sur erreurs, travesti les faits de lafaçonla plus cavalière,
peut-être M. Biré n'aurait-il point songé à en relever les inexactitudes, à détruire
la légende au profit de l'histoire véritable. Dans les omissions et les surcharges,
si grossières qu'on doit les croire voulues, de cette existence ainsi racontée,
omissions et sucharges toutes à l'honneur du poète, il n'est pas besoin de le dire,
n'y avait-il pas une sorte de provocation à l'adresse d'un critique judicieux,
comme est M. Biré, désireux avant tout de démêler la vérité et de la faire con-
naître ?N'y avait-il pas au moins un encouragement à recommencer cette his-
toire et à faire la part du vrai et du faux dans les allégations orgueilleuses de
Hugo? Ces recherches laborieuses, M. Biréles a entreprises et conduites abonne
fin, sans parti pris, avec une convenance parfaite. Il aurait pu être sévère dans
ses jugements, il a été plus indulgent que certains coreligionnaires politiques
d'Olympio qui l'ont apprécié en des termes bien autrement cruels. Il fallait éviter
tout ce qui eût pu donner prise à l'esprit de parti, ne laisser entendre que la voix
de la vérité. M. Biré ne s'est point départi d'une stricte modération. Il a donné
la parole à d'innombrables documents contemporains, en indiquant les sources
authentiques où chacun d'eux a été puisé. De ce travail les conclusions viennent
d'elles-mêmes s'imposer à l'esprit du lecteur.
    Je ne puis, dans un compte rendu aussi sommaire, analyser les matières con-
tenues dans cette intéressante étude sur la jeunesse de Victor Hugo et en même
temps sur les débutants littéraires de l'époque. Je dirai seulement qu'elle fait
pleine lumière sur la vie intellectuelle d'alors, et qu'elle apprend surtout à con-
naître, avec l'exactitude la plus scrupuleuse, les commencements de l'auteur de
Notre-Dame de Paris. Jeune homme il est déjà tel qu'il sera pendant tout le
cours de sa longue carrière : esprit superficiel, auquel une mémoire excellente
tient lieu de profondeur, prodigieusement riche d'images, mais pauvre d'idées,
sacrifiant la pensée à la forme. Un critique distingué, M. Gustave Planche, dans
un article que publiait la Revue des Deux-Mondes du 15 mai 1855 parlait « de
l'abondance, de la richesse, de la variété d'images qui, chez l'auteur des
Orientales, dissimule parfois la ténuité ou l'absence des idées ». Il n'y a rien à
changera ce jugement: depuis, le défaut n'a fait que s'accroître : et ce ne sont
pas les élucubrations bizarres que la politique a inspirée au Maître qui feront
croire, même à ses fidèles, à un retour de l'équilibre dans ses idées.
                                                      CH.   LAVENIR.