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144 LA R E V U E LYONNAISE
blasé des contes arabes, ayant à sa disposition les trésors de Monte-
Christo. Entre mille folies absolument splendides, je vous rappel-
lerai cette nuit féerique où il réunit tout ce que Paris compte de
viveurs délicats et artistes dans son hôtel des Champs-Elysées. Les
plus ravissantes filles de l'Opéra, la splendide Blanche M... et la
blonde Marie V... en tête, qui eusent été dignes d'avoir Théophile
Gautier pour écrire le poème de leur beauté, y figurèrent, vêtues
de costumes orientaux aux couleurs chatoyantes, ètincelants de
pierreries. Les unes, aux sons d'un orchestre invisible, dansaient
je ne sais quel ballet étrange et volupteux, les autres nous servaient
un souper où toutes les magnificences connues étaient dépassées.
En un mot, on eût dit qu'il avait choisi pour devise ces vers de
Rolla :
Il prit trois bourses d'or, et durant trois années,
Il vécut au soleil sans se douter des lois}
Et jamais, fils d'Adam, sous la sainte lumière,
N'a, de l'est au couchant, promené sur la terre
Un plus large mépris des peuples et des rois.
Le dénoument fatal et obligatoire arriva comme bien vous pen -
sez. Un matin Guy de Lulleval se réveilla sans un sou, au milieu,
comme Don César de Bazan :
D'un tas de créanciers hurlant après ses chausses.
Cet incident prévu ne lui enleva rien de sa sérénité et prouva
que le nil mirari d'Horace était plus que jamais la règle de sa
conduite. Il mit en vente l'hôtel dont les murs auraient pu racon-
ter de si plaisantes choses, le mobilier dont le moindre objet témoi-
gnait du goût artistique de l'acquéreur, les voitures et jusqu'au
petit coupé, peint d'une couleur discrète et douillettement capitonné
de satin, qui avait tant de fois reconduit chez elle dans la
matinée la maîtresse d'une nuit, aux cheveux ramassés à la hâte
et dont la robe se devinait flottante et mal ajustée sous le manteau
de cachemire ou la pelisse de fourrure. Tout y passa, puis Guy
disparut, et, quinze jours après, personne ne se souvenait plus de
lui. C'est là un des effets les plus curieux de notre vie fiévreuse.
Nous n'avons pas le temps de garder dans notre esprit une petite