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                   NOUVELLE DAUPHINOISE.                  223

   Et tant d'autres lamentations presque incessantes.
   Marguerite perdait ses belles couleurs roses ; sa douce
figure était extraordinairement amaigrie, à peu près dia-
phane ; le sourire ne venait plus effleurer ses lèvres ; et la
nuit, pendant que sa mère dormait, elle passait de longues
heures à prier, tâchant de conjurer la tempête déchaînée
contre la France et contre l'ami de son cœur.
                             VII
   Le soir du 19 janvier 1871, la température était si froide,
si meurtrière, que l'on ne pouvait que trembler en pensant
aux malheureux obligés d'affronter les rigueurs d'une nuit
pareille.
   Marthe, la malade, après s'être assoupie devant Fâtre,
prit une crise terrible, en présence de Jeanne et de sa fille,
une de ces crises qui semblent ne devoir pas faire grâce à
ceux qu'elles étreignent.
   Le médecin ! il faut un médecin 1 s'écria Marguerite dé-
sespérée.
   La maison était fort éloignée du village ; y aller, par ce
temps affreux, surtout une jeune fille dont la santé était
ébranlée, c'était s'exposer à la mort.
   — Bonne Jeanne, gardez bien ma mère, je cours de ce
pas chez le docteur ! . . .
   S'enveloppant de sa mante brune, l'enfant s'élança sur
le chemin. Quand Jeanne voulut la retenir, il n'était plus
temps ; elle avait disparu comme l'éclair.
   Marguerite ne marchait pas, elle volait; sa tête blonde,
entourée de sa capuche, regardait le ciel de temps en
temps pour le supplier de sauver sa mère. Elle allait,
elle allait toujours, ne s'inquiétant pas du froid excessif
dont le souffle âpre la transperçait ; elle avait des ailes
pour cette course folle et sublime tout à la fois !
   De longues files de corbeaux passaient en croassant
dans l'air glacial de la nuit ; la neige commençait à tomber
à flots, et onze heures sonnaient au clocher du village,