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L'AVEUGLE 417 Me voici aux eaux de Barèges. Elles m'ont d'abord fait beaucoup de bien, mais je sens que le mal n'est pas vaincu, au contraire. Nous avons ici un excellent docteur, dont la grande maxime est que le moral réagit singulièrement sur le physique : « Soyez gais, » dit-il souvent à ses malades, « soyez gais, et vous serez plus qu'à moitié guéris. » Dernièrement, je le rencontrai sur la route qui mène de l'Église à l'établissement de bains. « Capitaine, je ne suis pas content de vous; mais la, ce qui s'appelle pas content. Je vous dis toujours d'être gai, et vous avez une mine funèbre à faire trembler. « Les médecins seraient unanimes à vous prouver l'influence que le chagrin exerce sur l'économie animale tout entière. Le peuple, avec son simple bon sens, a compris cette vérité. Que de fois il explique la mort d'un homme par cette phrase expressive : « Il s'est « trop fait de bile ». Eh bien ne vous faites pas trop de bile ; prome- nez-vous, lisez, jouez, mangez bien, dormez bien ; songez que les insomnies échauffent le sang, et favorisent le développement des inflammations... Si vous voulez suivre mes conseils, votre guérison me paraît assurée, et vous en serez quitte pour porter des lunettes bleues ; mais, ma foi, si vous en faites toujours à votre tête, si vous pensez jour et nuit à des accidents qui ne sont qu'à l'état de contin- gence, si vous ne m'écoutez pas, si, après avoir souvent bravé la mort sur le champ de bataille, vous tremblez devant un danger sim- plementpossible, je ne réponds de rien... La gaieté, c'est ce qui vaut mieux encore que toutes les eaux des Pyrénées, des Alpes et de la Bohême... Allons, je vousquittepour aller voirie vieux comte X... qui m'attend. En voilà encore un qui se fait de la bile; mais c'est avec raison. Perdre, presque à la fois, sa femme, son fils unique, sa position, sa fortune, il n'y a pas de quoi rendre un homme bien épanoui... Adieu, capitaine, et n'oubliez pas ma dernière recom- mandation : So-yez gai. » Deux baigneurs se sont pris de querelle à la table de jeu. « J'ai le roi, disait l'un, et je le compte. — Vous l'avez annoncé trop tard, répondit l'autre. — Je vous demande pardon. — Moi aussi; j'avais déjà fait une levée et fait connaître ainsi la disposition de mon jeu. — Ce n'est pas vrai. — J'ai donc menti DÉCEMBRE 1831. — T. I I . 27