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340                  LA REVUE LYONNAISE
    L'hiver arriva bientôt, et, avec lui, les fêtes, où, dans les petites
villes de garnison, les officiers sont reçus avec empressement.
Saint-Gérand ne put se dispenser d'y mener quelquefois sa femme,
et là, je remarquai que le capitaine Renard, un danseur pourtant
assez intrépide, n'invitait pas « madame Caroline », quoiqu'il atta-
chât constamment sur elle ce mauvais regard dont j'ai parlé. Elle
ne s'en souciait pas, du reste. Heureuse dans son épanouissement de
beauté, de jeunesse et de bonheur, plus attachée que jamais à son
mari, insensible aux banalités usuelles des compliments, elle tra-
versait les fêtes, sans rien perdre de la sérénité qu'elle portait dans
son cœur, qui se reflétait sur sa figure, et semblait défier les incon-
venances, ou plutôt les rendre impossibles.
    Un régiment de hussards, qui changeait de garnison, traversa
notre petite ville, et, selon l'usage, nous offrîmes un punch à ses
officiers. La réunion fut aussi courtoise que possible, et je vous laisse
à penser ce qui s'échangea de compliments, de vœux, de souhaits et
de serrements de mains. On porta aussi un certain nombre de toasts,
et la fête touchait à sa fin, lorsquele vieux major Bédel, levant son
verre nous proposa, avec un air de profonde conviction, de boire
à la santé des dames : « Très juste, observa le chef d'escadron qui
flanquait la droite de Bédel. Aux dames de France en général, et
en particulier aux dames de la ville hospitalière que nous ne quit-
terons qu'avec bien du regret. — Bravo !fitle major. —Bravo !
ajouta le capitaine Renard. A moi maintenant de vous proposer une
santé spéciale. A la femme charmante d'un de nos amis qu'un devoir
de service a empêché ce soir de se joindre à nous : à la belle Saint-
Gérand. «L'inconvenance de ce toast était passablement grande en
l'absence du mari, mais les têtes étaient échauffées, l'influence du
punch se faisait sentir. « A Madame Saint-Gérand, fit-on en chœur
 d'un bout à l'autre de la table. — Ce n'est pas tout, s'écria Renard;
il faut que quelqu'un réponde au toast, et, puisque Pylade n'y est
pas, je propose Oreste à sa place. Voyons, capitaine Valette, vous
avez la parole. » Tous les yeux se tournèrent de mon côté, pendant
que Renard m'observait avec un air de défi satanique : « Eh bien,»
 fis-je d'une voix mal assurée, « c'est avec grand plaisir que je
 remplace un ami absent ; remplissons de nouveau les verres, et
 buvons à la santé d'une dame qui a droit à nos hommages les plus