Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
338                       LA R E V U E     LYONNAISE

pour ceux qui ne sont pas aveugles de naissance, vous a institué
par testament son légataire universel. Voici l'expédition du testa-
ment et, en outre, un paquet cacheté à votre adresse. »
  J'ouvris le paquet et j'y lus l'histoire de l'aveugle. Il ne me reste
plus qu'à la faire connaître dans sa simplicité navrante.




                       HISTOIRE DE L'AVEUGLE

   Je n'ai pas toujours été tel qu'on m'a vu sur le pont des Arts,
demandant du pain à la charité publique, vieilli bien avant l'âge,
brisé par la souffrance, le chagrin et surtout... le remords. Il y a
dix-sept ans, on citait le capitaine Valette1 comme un des plus
brillants officiers du... chasseurs à cheval. Orphelin, sans for-
tune et sans protecteur, je m'étais engagé à dix-huit ans. A vingt
ans, j'étais maréchal-des-logis; à vingt -sept ans, décoré; à trente
ans, capitaine, et en passé de devenir chef d'escadron. Que ton
avenir paraissait donc beau, pauvre Valette, et qui aurait dit?...
   Dans mon régiment, comme dans beaucoup d'autres, la jeunesse
amenait bien quelques folies à sa suite ; mais, sauf pour ce qui con-
cernait le point d'honneur et la discipline, le colonel montrait
beaucoup d'indulgence : « Nous étions ses enfants, disait-il, des.
enfants dont il était justement fier. » De fait, son corps d'officiers
était tenu en grande estime par le haut état-major.
    Parmi les camarades, il en est un que j'affectionnais particuliè-
rement, le capitaine Saint-Gérand. Il était orphelin comme moi,
 comme moi officier de fortune, et sous son extérieur modeste, il ca-
chait un grand fonds de générosité et de bravoure. Que de prome-
nades nous faisions ensemble ! que de projets, de rêves d'avenir !
 « J'espère bien être un jour général, disait l'un. —Et moi, ministre
de la guerre, répondait l'autre. — Pourquoi pas maréchal deFrance,
pendant que tu y es? — On a vu des choses plus extraordinaires. »
Et de rire. Là-dessus, on allait se coucher, la tête toute remplie de
 songes enchanteurs.

      Un nom de fantaisie, bien entendu, comme tous les autres de cette histoire.