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190                   LA REVUE LYONNAISE
Rien en lui ne pouvait faire prévoir des préoccupations d'un autre
ordre. Il fit ce qu'on appelle dans la langue de la religion une conver-
sion. Son exaltation devint extrême. Habituellement ces états, sur-
venus après de grandes secousses, sont passagers, et l'âme revient
peu à peu à son niveau, comme l'eau, troublée jusque dans sespro -
fondeurs par la chute de quelque énorme pierre, reprend peu à peu sa
tranquillité.Il n'en fat pas de même pour Poncet quijusqu'à sa mort,
trente-un. ans plus tard, conserva la même ferveur passionnée.
   Il semblait impossible qu'il pût jamais se remettre aux affaires,
et de fait, ce fut six années seulement après la mort de son fils que
l'entreprise de la rue Impériale, dont on lui proposa l'étude, vint
lui rendre son énergie. Il était comme le limier qui, une fois le gi-
bier en vue, n'est plus libre de ne pas chasser.



    Mais les affaires ne le détournaient que momentanément de ses
préoccupations, et il en résultait parfois des singularités fort étran-
ges. Un des jeunes architectes auxquels il avait confié l'étude des
maisons de la rue Impériale ayant eu un jour besoin de le voir, il
trouva Poncet, comme cela était bien naturel, écrasé d'affaires. Sa
table était chargée de lettres, de dessins, de paperasses; vingt per-
sonnes attendaient pour lui parler; il avait cent ordres à donner.
Je ne sais comment, au milieu des paroles échangées rapide-
ment, quelque mot vint à ramener Poncet à ses pensées du fond de.
l'âme. Sa figure maigre et jaune change soudain d'expression;
ses traits s'étirent comme ceux d'un ascète ; il ouvre un des nom-
breux cartons à dossiers empilés devant lui, en tire une tête de
mort, récemment déterrée en creusant les fondations d'une maison,
et la montrant,, le voilà qui se met à parler de la religion, de son
fils, de la brièveté et du néant de la vie, bref, oubliant tout le reste,
entame un sermon au jeune architecte ébahi, qui, mû par une sorte
de pitié, se retira promptement.




   Mais Poncet était plein de contrastes, et sa nature un peu gau-
loise et populaire, produit de l'atavisme des « cu*de-piau », sui-