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                 SOUVENIRS DE PONDIGHÉRY                          41
de choses d'un attrait fascinateur. Voilà le rêve; voici la réalité,
telle qu'elle m'est apparue sur le petit coin de terre indienne où
flotte encore notre drapeau.
   Un ami m'attendait au débarquement, je lui ai dû de passer ma
première soirée dans un jardin des environs. Le ciel était d'une
pureté radieuse, une grande clarté tombait des étoiles, un essaim
de mouches à feu rayaient de leurs sillons lumineux l'ombre
épaisse des feuillages, une odeur capiteuse montait des fleurs en-
dormies ; sur les lianes entrelacées, sonores comme des cordes de
lyre, la brise de mer semblait promener un archet capricieux,
soufflant parfois jusqu'à incliner avec un mouvement humain la
tête rigide des cactus, parfois se taisant et laissant arriver jus-
qu'à nous je ne sais quels bruissements d'une douceur sinistre.
Toutes les variétés de phalènes, des chauves-souris d'une taille
gigantesque, passaient et repassaient, à coups d'ailes fiévreux, dans
le cercle de nos lumières. Ahuri, grisé, j'ai eu cette nuit-là l'in -
tuition très nette que j'avais mis mon frêle tempérament de Parisien
en face d'une nature trop puissante pour lui. J'ai su depuis qu'en
effet les Indiens jouissaient d'une épaisseur crânienne presque
double de la nôtre.
   Pondichéry se divise en ville blanche et ville noire, idéalement
séparées par un petit canal toujours à sec. La ville blanche, égre-
née le long de la mer, est d'un aspect réellement gracieux. Les
maisons, blanchies à la chaux, reflètent une lumière aveuglante et
tranchent crûment sur le vert sombre des arbres et le bleu profond
du ciel. Elles sont espacées, indépendantes les unes des autres,
généralement à un étage, pourvues de verandhas en saillie sur le
devant. Quelquefois le toit est plat, dallé dans toute sa longueur,
ceint d'une balustrade en pierre et forme ainsi une sorte de ter-
rasse élevée où on se réunit le soir pour prendre le frais, quand il
se laisse prendre. Il y a des rues nombreuses et larges, une place
où la musique des Gipahisjoue deux fois la semaine, un pont dé-
barcadère qui s'avance à 150 mètres dans la mer. Il y a encore un
quai, dit « cours Chabrol » où les noirs traînent les blancs dans
de petits véhicules appelés «pousse-pousse » et où les puissants du
lieu promènent leurs équipages. Il y a encore un hôtel du gouver-
nement, une cour, un tribunal, une caserne, une prison, un phare,