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                        VICTOR DE LAPIUDE                   135
vie inconnue; Permile est le vieillard plein d'expérience qui
déjà en a foulé tous les sentiers, et la forêt représente la vie
elle-même.
   Entre l'ermite et le chevalier s'engage un dialogue où l'un
prodigue les conseils timides de l'âge avancé, où l'autre
répond avec la témérilé enthousiasme de la jeunesse.
   — Fuis ! dit le premier. Cette route est hantée par les
démons.
   — J'ai juré, dit le second, de gravir jusqu'à la Tour
d'Ivoire.
          J'aspire à des amours, à des gloires parfaites.

   Mais toi-même, qui me semblés si sage, pourquoi braves-
tu d'aussi près la forêt tentatrice ?
   — Je suis là pour avertir le voyageur imprudent, pour
guérir le rêveur de ses folles espérances.
   — Moi, je suis chevalier.
          J'aurai, de plus que toi, ma harpe et mon épée.

  — Comme toi, je maniai le glaive et la lyre, et je n'arri-
vai jamais à la Tour d'Ivoire. J'ai cessé d'y ajouter foi.
          Tu t'es lassé trop tôt, ou tu crains le péril.

   — J'ai pris pour guides l'Amour, charmant et souverain,
la Poésie aux ailes audacieuses, la Philosophie austère.
Hélas ! tous ceux en qui j'ai cru m'ont tour a tour aban-
donné sur la route.
   — Tu n'as pas su trouver la fée bienfaisante cachée à
l'ombre éternelle des bois.
   Je les ai revus,ces bois, et je les parcours en vain. L'hôte
divin en est absent. Les démons l'y ont remplacé. Combien
de chevaliers, joyeux et vaillants, remplis aussi d'ambition
et d'espoir, sont revenus désarmés, tristes, flétris, l'ironie
ou le blasphème a la bouche, de celte forêt fatale où ils