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156                    VICTOR DE LAPRADE

étaient entrés, précédés d'illusions si fraîches, suivis de
déceptions si amères. Ils n'osaient plus même
          Nommer la blanche tour, objet de leur ardeur.

  Pour moi, je m'avoue vaincu, et je veux vieillir ici, en
essayant de sauver
          Ceux qui rêvent de voir, de toucher l'idéal.

  — Par la Vierge et les saints, je le verrai, je le tou-
cherai.
  — Que Dieu te conduise !
  Et le voilà qui chevauche à travers la forêt, vigilant,
prudent,
          Résolu d'être aveugle et sourd à tous les charmes,
          Tant qu'aux sûres clartés d'un infaillible amour,
          Son cœur n'aura pas vu s'ouvrir la Marche tour.

   Les noirs esprits l'éprouvent de leurs coups ; les séduc-
tions surgissent de toutes parts devant lui. Mais, toujours
attentif, il flaire le poison dans la coupe et découvre le
serpent sous les fleurs. Visions attrayantes, lutins rieurs,
dragons énormes, il les écarte, tous de sa bonne lance ou
d'un signe de croix.
   Cependant, des soupirs, mêlés à des ricanements, se
font entendre la-bas, au creux d'un vallon. 11 accourt. Sur
un tertre mousseux, d'où jaillit l'eau d'une fontaine, les
pieds enchaînés au roc, une jeune fille se débat contre trois
nains velus, qui la percent de mille traits, et contre six
dogues affreux qui lui montrent les dents. Une méchante
fée, assise sur un dragon et coiffée de serpents, excite les
chiens de son sourire infernal. La captive est une villa-
geoise. Elle a, pour unique parure, un chapelet de buis
suspendu à son cou. Elle pleure, elle prie, elle appelle au
secours. « Merci de nous, Jésus Sauveur ! A moi, bon
chevalier ! » Le chevalier frappe du bâton de sa lance les