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378                   VICTOR DE LAPRADE

    Demandez plutôt quel est le poète, et vous aurez la clef de
 cette strophe.
    Il y a trois hommes dans Victor de Laprade: le néo-grec,
le poète de la nature et le chrétien cherchant le Dieu réel
 dans les fables, le Christ sous les figures, et arrivant a lui
par le moyen des unes et des autres. Mais ce vêtement an-
 tique et païen qui enveloppe sa muse en en laissant voir l'o-
rigine et les beautés, semblable à. ce voile humide dont le
 sculpteur recouvre la statue a laquelle il met la dernière
 main, ce vêtement inutile va tomber a ses pieds. On dirait
que, pareil à ces néophytes d'Eleusis qui, après mille ten-
 tatives, viennent supplier l'hiérophante de leur livrer la
vérité, le poète ait cherché la réalité partout. Il l'avait
 demandée aux âges écoulés, et ce n'est qu'en frappant au
seuil du sien qu'il finit par la découvrir. Les symboles s'éva-
nouissent, les héros, les déesses et les dieux disparaissent,
 et le grand chêne se dresse victorieusement au-dessus de ces
fantômes des temps chimériques.
    Le « Poème de l'arbre » est la première inspiration per-
 sonnelle de l'auteur et la manifestation .la plus haute de son
génie spécial. Victor de Laprade écrira d'autres poésies
 plus éclatantes peut-être, mais elles ne pourront nuire par
leur contraste à ce poème-type. Il est 1k tout entier, avec
son âme à lui, son esprit à lui, son cœur a lui ; il est là
avec ses croyances et ses erreurs ; avec cette âme rêveuse,
forte et sereine à la fois qui plonge, comme les racines du
chêne, dans les secrets profonds de l'univers et plane,
comme sa cîme, au-dessus des flots humains des villes tu-
multueuses et au milieu de « ce silence où parle l'idéal ; »
avec cet esprit nourri de ceux que « la nature aspire elle-
même et qui la font rêver; » avec ce cœur où viennent
retentir les coups de hache du bûcheron et qui a pour les
forêts des amours fraternelles.