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94 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. et qu'en découvrant quelques-uns de ses plus sublimes attributs, la philoso- phie ancienne avait préparé les voies à la religion véritable. Aujourd'hui que les droits de la raison sont méconnus par toute une école qui prétend défendre le christianisme en proclamant la complète impuissance de l'intelligence humaine, il est curieux de voir un théologien d'une im- mense érudition, cité dans l'Eglise à côté du P. Pelers pour sa rigoureuse exactitude, élève d'Ambrosius Victor, l'un des plus savants docteurs du XVIIe siècle, concilier avec la plus haute sagesse la foi et la raison, et prou- ver que ce qu'il y a de légitime dans les affirmations de la philosophie an- cienne , ce qu'il y a d'impérissable dans tous les systèmes , n'est qu'une éclatante confirmation de la révélation chrétienne. En effet, distinctes dans notre intelligence, les vérités de l'ordre naturel et celles de l'ordre surnaturel ne sont que deux rayons émanés d'un même foyer de lumière. Opposer la raison et la foi, c'est vouloir opposer la vérité à elle-même. Seulement s'il faut reconnaître les droits imprescriptibles de la raison, il ne faut pas s'exagérer sa puissance. Sans doute elle nous révèle la vérité, mais non pas toute vérité. Il est pour notre intelligence un point où sa lumière s'arrête , une région qu'elle n'éclaire plus. Cette région est celle de l'ordre surnaturel. Mais si la raison n'y peut atteindre, elle peut en démontrer l'existence. Elle ne supprimera point le mystère, mais sans elle on ne pourra signaler le mystère à notre intelligence et la forcer à s'incliner devant lui. En un mot, sans la philosophie on pourra sans cesse contester à la théologie la valeur et la légitimité de ses procédés et l'exis- tence même des vérités dont elle s'occupe. Ainsi considérée, la philosophie n'est donc que la préface humaine de l'Evangile. Vérité bien méconnue aujourd'hui, mais bien vieille dans le monde. Le moyen âge l'avait entrevue lorsqu'il appelait la philosophie la servante de la théologie, ancilla theologiœ ; lorsque saint Anselme écrivait au frontispice d'un de ses plus heureux ouvrages : Fides queerens intelieclum. Nourris de la lecture des Pères et des Scholastiques, non moins que remplis du souvenir des anciens, les savants théologiens du XVIIe siècle ne crurent point qu'il fallait rompre , comme on l'a dit de nos jours, avec toute philo- sophie. A côté de la foi, iïs laissèrent une magnifique place à la raison hu- maine. L'école traditionnaliste veut l'en bannir aujourd'hui : mais, qu'elle y prenne garde, ainsi chassée, la raison reste l'éternelle ennemie du dogme, tandis qu'il suffirait de reconnaître ses droits pour s'en faire une alliée. Telles sont les conclusions qu'on tire naturellement de l'étude de M. Les- cœur sur le P. Thomassin. Il nous reste à parler du livre lui-même, écrit avec une élégance et une élévation peu communes. C'est une Théodicée