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                   ÉTUDE SUR L'HISTORIEN GIBBON.                   393
  ble dans son activité, si précieuse dans ses effets ? Il y voit l'im-
  pulsion d'un aveugle enthousiasme : saint Antoine , par exem-
 ple, est un homme qui exécute « sa pénitence monastique avec
  toute l'intrépidité et la singularité du fanatisme; et ses disciples,
  des malheureux exilés de la vie sociale, qui se livrent à l'impul-
  sion de leur génie mélancolique et superstitieux (1). »
     Les Croisades, ce mouvement prodigieux qui précipita, au
  Moyen-Age, l'Occident sur l'Asie pour lui arracher le tombeau
  du Christ ; ce mouvement qui n'a rien d'analogue dans toute
 l'histoire du monde, et qu'en dépit de la philosophie, l'on n'ex-
 pliquera jamais que par l'inspiration de cette foi qui enfanta des
 martyrs, Gibbon n'y aperçoit qu'une suite d'expéditions d'aven-
 turiers, courant à la recherche de riches principautés, de belles
  femmes et de bon vin (2) ; ce qui n'était la pensée que du très-
 petit nombre des croisés, l'historien le généralise et en fait le
 mobile de la majorité des pèlerins. Et cette dictature pontificale
 qui exalta si merveilleusement l'Eglise, musela la tyrannie, pro-
 tégea la liberté des peuples et sauva la civilisation, comment
 Gibbon la traite-t-il ? Il ne la rencontre que pour la dénigrer ;
 à part quelques aveux précieux à recueillir, et qui montrent
qu'avec des croyances, l'historien aurait été capable d'apprécia-
 tions justes et élevées, il ne voit dans le développement de la
puissance du pape que le fait de l'habileté et de l'ambition des
 successeurs de saint Pierre.
    Cette aride philosophie qui dessèche l'intelligence de Gibbon ,
lui laissera-t-elle au moins le cœur ? Mais, de l'homme qui adore
la force et en admire exclusivement les triomphes , faut-il at-
tendre de la sympathie pour l'infortune? Gibbon n'en éprouve
aucune. Tant que les croisés joncheront de leurs cadavres les
plaines de l'Asie-Mineure, Gibbon passera à côté d'eux indifférent;
mais lorsque ces mêmes croisés, contre leurs vœux, contre les
défenses du' pape, contre le droit des gens, escaladeront en bar-
bares les murs de Constantinople et mettront à sac cette grande

  (1) C. XXXVII.
  (2) C. LVIII.