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508 MON VOYAGE A PARIS. — Croyez, mon cher ami, que je n'exagère pas. Un recueil périodique a fait une curieuse énuméralion statistique dont je crois pouvoir me ressouvenir assez pour vous la rapporter exactement; elle vous donnera la preuve que mon opinion est fondée sur les faits. Ce journal a calculé que les dix drames les plus famés de l'école romantique française mettent en scène huit femmes adultères,cinq courtisanes, onze amants ou maî- tresses qui assassinent l'objet de leur amour et six enfants na- turels ou adultérins, héros qui débitent les plus ardentes dé- clamations contre l'organisation de la société et contre la lé- gitimité de la naissance. Je vous fais grâce des amours inces- tueux, des jeunes femmes séduites, et de deux jeunes filles qui accouchent presque sur la scène!.. Que dites-vous de celte ex- pressive nomenclature, ami Timolhée? Ne vous semble-t-elle pas une preuve convaincante de la dégradation de l'art dra- matique en France? — Je vous avoue que je suis confondu d'étonnement, répon- dis-je, mais le public français n'a-t-il donc pas le sentiment des mœurs, des convenances et du bon goût, et ne fait-il pas jus- tice de pareils dérèglements. — Pour être vrai, reprit Taylor, il faut reconnaître que les Français, un moment séduits par les brillants oripeaux qui paraient l'école nouvelle, sont bientôt revenus de celte illu- sion déplorable. Le goût éclairé de la population commence à repousser ce dévergondage littéraire ; mais cet heureux changement n'est pas complet encore, et les esprits sérieux peuvent s'alarmer avec raison des fâcheuses conséquences qui peuvent dériver de cette erreur temporaire d'une na- tion trop souvent entraînée par l'ardeur de son imagination. Le commencement de la représentation mit brusquement fin à ces révélations qui produisaient une vive impression sur mon esprit. Le chef-d'œuvre du grand tragique anglais fut admirable- ment joué ; les acteurs recueillirent des applaudissements mérités et nombreux.