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452 CHARLES.
toutes choses devint plus incisive, ses opinions plus absolues,
son caractère plus irascible ; les contradictions l'exaspéraient.
Jour et nuit il rêvait aux arguments les plus propres à con-
fondre ses adversaires; et lorsque ceux-ci n'avouaient pas
leur défaite, il allait jusqu'à supposer en eux l'envie, la
mauvaise foi, la haine de la vérité. Chaque jour l'engageant
de plus en plus sous le poids de cette illusion fatale, il tomba
dans une noire misanthropie, et s'éloigna peu à peu de tout
le monde.
Le plus jeune de ses amis, que nous appellerons Georges,
avait, le dernier de tous, conservé sa confiance, quoique
déjà bien affaiblie. C'était près de lui qu'il exhalait ses
plaintes, ses regrets, son désespoir; c'était à lui qu'il ouvrait
son cœur désolé par des maux imaginaires. Jamais l'amitié
n'eut un si déplorable privilège. On ne saurait se figurer avec
quelle subtilité il faisait converger vers son idée flxe mille
riens insaisissables pour tout autre que lui. Une parole in-
signifiante, le silence même, un geste, un regard, un sou-
rire, s'étaient gravés dans sa mémoire, accompagnés d'une
foule de circonstances à l'appui, et prenaient à sa voix
une signification, une valeur si étonnantes, qu'un doute in-
volontaire se glissait parfois dans l'esprit de son auditeur.
Le devoir de Charles était difficile, sa position douloureuse.
Charles ne voulait pas être consolé, encore moins souffrait-il
qu'on essayât de lui démontrer son erreur. Cantonné, pour
ainsi dire, dans l'intérieur de sa chimère, la moindre tentative
pour l'en arracher était aussitôt considérée par lui comme
un symptôme de défection. Ah ! s'écriait-il alors, vous aussi,
vous êtes contre moi ! Enfin, quels que fussent les ménage-
ments inspirés par la plus affectueuse compassion, Charles
s'éloigna peu à peu de Georges, et bientôt il refusa de lui
parler.
Plusieurs semaines s'étaient écoulés depuis celle rupture;