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322                          LES MARTYRS.
pas au commandement, mettre un peu plus de soin et de temps à ces œu-
vres. Pour devenir le beau, le bien dans les arts a besoin d'un degré su-
périeur de perfection qu'on n'atteint pas en se contentant des à peu près.
Or, l'auteur de la partition des Martyrs nous paraît manquer de cette sévé-
rité envers lui-même, nécessaire surtout à un génie du second ordre.
   Il faut rendre à la direction de nos théâtres cette justice que tout ce
qui dépendait d'elle pour la beauté du spectacle a été fait largement. La
pièce est montée avec un grand luxe, et on a réussi à en faire une des
choses les plus pompeuses de notre scène ; les magnificences de la Juive
sont dépassées. Il y a quelques observations à faire sur les décors des deux
derniers actes ; la statue du Jupiter est dans de mauvaises proportions,
la tète paraît aussi grosse que le corps qui, lui-même, est beaucoup trop
court. Dans le cachot de Polyeucte on ferait bien de faire disparaître les
blasons qui se trouvent aux piliers. La toile qui représente le cirque
manque d'air et de profondeur. Pour ce qui est de la mise en scène
proprement dite, elle est faite avec beaucoup d'ordre et de jour, et les
détails en sont soignés. Les dorures sont trop abondantes dans les cos-
tumes, cela donne à l'ensemble moins de vérité que n'en ont sur le théâ-
tre les armures du moyen-âge où l'acier domine ; on a aussi fait un peu
abus de la couleur rouge ; historiquement la pourpre devrait être moins
prodiguée, cela vaudrait mieux aussi comme tableau. La marche triom-
phale du second acte suffit, à elle seule, pour attirer longtemps la foule.
L'exécution musicale de l'ouvrage est, du reste, satisfaisante, et la parti-
tion, sévèrement jugée ailleurs, lui doit le bon accueil qu'elle a reçue
parmi nous. Le rôle si difficile et si ingrat de Pauline n'exigeait pas seu-
lement une habile cantatrice, mais une tragédienne lyrique, ce qui est
rare. Madame Miro s'y est montrée avec cette supériorité qu'elle apporte
dans toutes ses créations. Nous avons souvent à louer des parties brillantes
chez nos autres artistes, mais c'est en elle que nous rencontrons ce quel-
que chose de complet et de fini qui satisfait à la fois à toutes les exi-
gences du drame et de la musique. Elle a composé le personnage de Pau-
line avec une grande intelligence de la couleur antique et un profond
sentiment du caractère de l'héroïne de Corneille. Son costume et ses poses
seraient irréprochables [aux yeux |du plus sévère sculpteur. Comme tragé-
dienne, elle nous a rendu les émotions de Lucie et de Norma, dans une pièce
où l'intérêt disséminé ne se concentre par instant tout entier que sur le
rôle de Polyeucte ; elle a chanté avec sa perfection habituelle ; sa voix nous
paraît chaque jour plus pure et plus pénétrante. M. Ragucnot mérite de
grands éloges pour son rôle de Polyeucte, c'est sans contredit le meilleur