page suivante »
290 BKKANGER Mais peut-être sommes-nous mauvais juges en fait de style simple et populaire, peut-être ne découvrons-nous si bien tout cet art que parceque nous savons ce que c'est ; peut-être est-ce parceque nous avons lu Hérodote et Aristophane que nous reconnaissons la filiation? Mais les villageois, le peuple s'y est trompé : l'artifice des moyens lui échappant, il a cru, sans doute, que c'était un des siens qui parlait, ou du moins il a reconnu son langage? ne le croyez pas, ce que nous analysons, le peuple le sent. Il n'éprouve jamais ces joies du littérateur, de l'homme de goût, qui, derrière la pensée pleine de finesse, sous l'expres- siou complète et achevée, découvre la lutte de l'intelligence, applaudit à une victoire remportée sur des difficultés qu'il connaît, qui l'ont arrêté, peut-être, et dont il aime à voir triompher ; tout cela échappe au peuple, il n'a guère d'admi- rations, il a des sympathies, et ces sympathies viennent du cœur et se gagnent avec le cœur; c'est pour cela que la plus rude éloquence entraîne les masses, tandis que l'orateur le plus dissert peut à peine s'en faire écouter. Or, le cœur c'est ce qui manque à Courier; son style sem- ble révéler une sorte de sécheresse d'âme ; ce style n'a que de l'esprit; du reste, il est froid et cruel; — l'ironie en est mordante, mais elle n'a pas l'amertume douloureuse de celle qui échappe à une ame outragée; c'est une arme préparée d'avance, lancée de sang-froid et à temps parle pamphlétaire, moins pour obéir à une véritable indignation que pour com- plaire à la nature de son génie caustique. Mais quand Béranger, au contraire, chantait sa maîtresse, sa misère, ses plaisirs el sa liberté; quand il pleurait sur nos triomphes passés, sur nos défaites et notre humiliation pré- sente, le peuple se reconnaissait et il répétait avec lui : les Infidélités de Lisette, la Grande Orgie, mon Habit, le Mar- quis de Carabas, le Grenier, le Vieux Drapeau, les Conseils