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278 BÉRANGER Ah! du talent le besoin est l'écueil. Ne soyez point ingrats pour nos musettes, Songez aux maux que nous adoucissons : Pour s'en tenir au lot que vous lui faites, Le pauvre peuple a besoin de chansons. Si le vin de Chypre (1) lui inspire des chants d'une poé- tique ivresse, qui ne le cèdent en rien à ceux d'Horace, je dis plus, qui respirent un facile abandon, impossible à la langue rigide de l'ancienne Rome, — combien ailleurs son âme est fière, profondément sensible, combien il a conscience de la dignité humaine ! Le vit-on jamais attaché à la fortune d'un prince, payer ses faveurs passagères de vers immortels? quel est l'Auguste auquel il eût adressé ces éloges fastueux : Quœ cura patrum, quœve Quiritium Plenis honorum muneribus tuus, Auguste, virtutes in œvum, Per tilulos memoresque fastos JEternet? etc.. etc. et tant d'autres? Qu'il lui eût été facile cependant d'avoir aussi, lui, son Mécène, et de le mettre au rang des dieux ! En 1803, Lucien Bonaparte le tire de la misère; n'est-ce pas là une belle oc- casion « pour un poète naissant » de faire d'harmonieuses généalogies et de se créer, à peu de frais, une muse bien pen- sionnée? Et pourtant, pas un vers d'éloge pendant trente années de publications;—mais, au bout de ces trente années, à qui croyez-vous que Béranger dédie son dernier volume de chansons, en 1833? à ce Lucien Bonaparte, au prince exilé: lisez cette dédicace, et vous jugerez avec nous si ce noble or- gueil de poète n'a pas une source plus haute que ces doctrines sans grandeur. (i) Voyez la dclicicusc chanson intitulée : Le vin de Chypre