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276 BÉRANGER pour combattre sous le plus grand des capitaines. Il assiste au sanglant triomphe de Wagram; blessé dans le combat, il ne voit plus dans cette gigantesque bataille qu'une horri- ble boucherie; au nom de l'humanité, il condamne cette guerre et la fuit: à peine rétabli il quitte l'armée, revient en France, encourant ainsi les peines réservées aux déserteurs avec la même insouciance qu'il avait bravé jadis le poignard des Italiens. Désormais il ne reparaît plus sur la scène du monde qu'a- vec le nom de Paul-Louis, qu'il a su conserver humble, in- dépendant et sans honneurs aucuns jusqu'au moment de sa mort. Si maintenant nous esquissons si rapidement la vie de Bé- ranger, nous ne le trouverons pas moins jaloux de son indé- pendance; nous le verrons, je puis dire avec attendrissement, conserver précieusement cette misère qui l'affranchit des hommes de cour et des ministres. Sa vie est moins variée, moins pleine d'incidents que celle de Courier, mais cette uniformité même tient sans doute à sa persévérance à rester humble et ignoré. Un modeste emploi dans les bureaux de l'Université suffit au chantre de Lisette et de Mon habit. Les places ne peuvent le séduire, les amitiés les plus hautes ne l'éblouissent pas. Le seul homme politique pour lequel il ait une affection profonde, c'est Manuel, et s'il l'aime, c'est qu'il est modeste, ennemi des honneurs. Sa sérénité au milieu de la misère, le calme de son cœur dans les luttes de sa jeu- nesse, sont peints dans ce passage touchant d'une de ses lettres : « J'étais si pauvre ! La plus petite partie de plai- sir me forçait à vivre, pendant huit jours, de panade que je faisais moi-même, tout en entassant rimes sur rimes, et plein d'espoir d'une gloire future. Rien qu'en vous parlant de celte riante époque de ma vie, où, sans appui, sans pain assuré, sans instruction, je me rêvais un avenir, sans négli-