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— 97 — ment, et que l'administration municipale n'a acquise en 1835 que pour la démolir, était fort admirée pour l'harmonie et l'élégance de ses proportions, et sa disparition n'a pas rencontré que des approbateurs. Déjà , les Lyonnais étaient fiers de leur théâtre, s'attachaient à en maintenir l'importance, se montraient jaloux de lui conserver un niveau artistique aussi élevé que possible. Autrefois, plus encore peut-être même qu'aujourd'hui, les représentations en étaient régulièrement suivies par une clientèle assidue et fidèle. La société bourgeoise le fréquentait volontiers, à condition d'y être remarquée. « Madame, disait un article satirique de 1824 (1) sur « les gens de grand ton », doit être dans une loge réservée, même si les quinquets de l'avant-scène l'aveuglent ; l'essentiel est d'être vue. Monsieur doit tout trouver détestable ». Si le journaliste disait vrai, Monsieur, en ne se déclarant satisfait de rien, se trouvait parfaitement d'accord avec la majorité de l'opinion ; mais il apportait, sans doute, dans la manifestation de cette humeur chagrine, qui est bien dans le tempéra- ment particulier de notre ville, une réserve que cette majorité n'observait pas tou- jours ; car c'est précisément par sa promptitude à tout critiquer, par l'âpreté et la rigueur de ses jugements, que s'est, de tout temps, distingué le public lyonnais. Les artistes ne pouvaient être admis à figurer dans la troupe qu'après avoir subi l'épreuve de trois débuts dans trois ouvrages successifs, et le jour de leur troisième début, c'était la voix populaire qui se prononçait sur leur sort. Le commissaire de police consultait les spectateurs sur leur admission, et suivant que les applaudisse- ments l'emportaient ou non sur les sifflets, les déclarait acceptés ou exclus. Dans cette pratique, qui n'a été abandonnée qu'il y a une trentaine d'années environ, le public voyait, avec assez de raison, une garantie à peu près assurée de la qualité des specta- cles, car les artistes médiocres ne se risquaient guère à affronter le verdict d'un aéro- page tout puissant, dont la sévérité avait une réputation capable de faire trembler les plus audacieux. Peu lui importait qu'un chanteur se présentât devant lui avec le prestige d'une renommée consacrée ailleurs par les succès les plus éclatants ; il ne s'en fiait qu'à ses propres impressions pour se faire une opinion sur son compte, et bien des artistes fameux, tels que Martin, le modèle des parfaits barytons, qui, à sa pre- mière représentation, le 17 août 1825, n e parvenait qu'à force de talent « à vaincre une prévention assez marquée » (2), tels que Duprez, le glorieux Duprez, du grand Opéra, qui, en juin 1838, ne provoquait qu'une curiosité très vite émoussée, tels que Capoul, le ténor favori des Parisiens, outrageusement sifflé en 1872, malgré la vogue jusqu'alors indiscutée qui s'attachait à son nom, ont emporté les plus cuisants souvenirs de leur rencontre avec notre terrible public. Cette omnipotence dont il se targuait, précisément parce qu'elle inspirait une sorte d'épouvante à ceux qui avaient à comparaître devant lui, ne le mettait pas seule- (1), Journal du Commerce du 29 septembre 1824. (2). Journal du Commerce de Lyon du 19 août 1825, Rev. Lyon. 7