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    « — Pourquoi demeure-t-il aux Broteaux i Le passage des ponts ne vaut rien aux
chanteurs !
    « — Messieurs, l'administration s'empressera de satisfaire à vos désirs! ».




      Il ne fallait pas non plus que le directeur s'avisât de jouer au plus fin avec le
public, en essayant de substituer à un artiste de valeur, porté, pour un emploi déter-
miné, sur son prospectus, un autre qui en avait moins. Que, même exceptionnellement
un second ténor, par exemple, se produisit dans un rôle de premier ténor, une duga-
zon dans un rôle de chanteuse légère, c'étaient des récriminations sans fin, des tenta-
tives d'obstruction résolue, qui troublaient, d'un bout à l'autre, la représentation,
provoquaient l'intervention plus ou moins brutale de la police, et parfois empêchaient
le spectacle de se poursuivre. Sa méfiance était telle à cet égard, il était si instinctive-
ment porté à prêter à la direction les desseins les plus machiavéliques, lorsqu'elle
procédait, en cas d'indisposition du titulaire d'un emploi, à de ces remplacements
obligatoires et accidentels, qu'il en manifestait son mécontentement, sans vouloir
prendre en considération le talent et les mérites personnels du suppléant.
       En 1829, u n nommé Letellier avait été engagé pour doubler Lecomte, le premier
ténor de la troupe. Accueilli avec méfiance le 23 juin, dans la Dame blanche, qui lui
servait de premier début, il ne parvint même pas à se faire écouter le 29, dans la
Neige d'Auber. Le parterre accompagna tout son air d'entrée du chant de la Boulan-
gère et de Marlborough. Il était cependant doué d'un physique avantageux, d'une voix
juste et étendue, mais il fallut, pour mettre fin aux manifestations, que la direction
fit faire une annonce par le régisseur, et garantit au public que Letellier dorénavant
se cantonnerait strictement dans son emploi (1).
       Au mois de mai 1846, une jeune artiste, Mlle Laumond, rencontra, dans le
personnage d'Eudoxie de la Juive, « la plus vive opposition et ses beaux yeux pleurè-
rent » ; non pas qu'elle s'y fût montrée insuffisante, mais « parce qu'on s'était ému de
la voir empiéter sur le domaine de la première chanteuse » (2).
       Le 4 novembre suivant, la direction, à raison de la résiliation d'une de ses pen-
sionnaires, s'étant trouvée dans l'obligation de confier à une artiste deux rôles dans le
 même ouvrage, il s'en suivit de si graves désordres que la police dut être appelée à les
réprimer, et elle s'y prit, paraît-il, avec une brutalité qui ne fit que mettre le comble à
l'irritation des manifestants.
       « On a entendu un agent dire : « Je lui aurais passé mon sabre à travers le ventre !».
Un autre dire : « Oh ! vous, je vous connais des élections ! » (3).


    (1). Précurseur du i er juillet 1829.
    (2). Censeur du 18 mai 1846.
    (3). Censeur du 6 novembre 1846.