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toujours, il préfère le talent exercé, l'art expressif et délicat d'un chanteur même
imparfaitement doué au point de vue vocal.
     Un ténor tel que Verdier, dont l'organe vigoureux a parfois des duretés un peu
âpres, mais dont le tempérament de tragédien lyrique s'impose avec une indiscutable
maîtrise, n'aurait pas réussi sans peine à se faire entendre ni admettre par le parterre
de jadis ; maintenant qu'on ne prend plus garde qu'à son art si naturel et si vivant, il
est couvert d'applaudissements et il attire la foule.

                                           m
      Les Lyonnais sont-ils devenus moins fervents de leur théâtre i On ne saurait le
prétendre, et ce n'est certes pas parce qu'il a cessé d'être le champ clos où se mesu-
raient, chaque soir, les partisans et les adversaires du fort ténor, de la basse profonde
ou de la première danseuse, qu'il leur inspire moins d'intérêt. Il en est quelques-uns,
je le sais, qui regrettent l'époque de ces luttes épiques et souhaiteraient volontiers le
rétablissement des débuts, seuls capables, suivant eux, de rendre à notre première
scène son éclat et son prestige passés. J'avoue n'être pas de ceux-là, et considérer, au
contraire, comme un progrès et un bienfait l'abolition de ces usages barbares, qui
transformaient une enceinte, vouée par définition au culte des beaux-arts, en une
arène de gladiateurs, ou, comme le disait un journal que j'ai cité plus haut, en une
plaza de toros.
      Nous avons désormais un théâtre transformé, doté des plus modernes perfection-
nements, digne, en tous points, d'une ville comme la nôtre. Souhaitons que celui qui
va avoir l'honneur de le diriger pendant six ans sache l'enrichir, par surcroît, d'un
répertoire en harmonie avec les éléments nouveaux dont il dispose, et aussi avec les
aspirations d'un public devenu plus sensible à la beauté d'une œuvre qu'aux condi-
tions matérielles de son exécution, plus soucieux, chez ses interprètes, de la justesse
du sentiment et de la sincérité de l'expression, que des dons naturels les plus brillants
et les plus rares. La pierre est définitivement scellée sur le passé que j'ai tenté d'évo-
quer : c'est une ère nouvelle qui commence pour notre Grand-Théâtre. Espérons-la
plus glorieuse pour lui et pour nous que celle qui vient de se clore.

                                                            Antoine SALLES.