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 ment au-dessus des préjugés et des opinions toutes faites, ce qui était à la rigueur
 légitime, il s'en autorisait pour s'affranchir de toute espèce de contrainte. Le
 théâtre était un domaine où il régnait en maître, où il se croyait tout permis, et dont,
 par le laisser-aller même de sa tenue, il affichait sa prise de possession totale et exclu-
 sive, excessive surtout.
        J'ose à peine reproduire le rappel à l'ordre, aussi bref qu'énergique (A bas le c...!)
 véritable impératif catégorique, quotidiennement infligé aux spectateurs qui, au cours
 des entr'actes, dans l'abandon d'une causerie avec leurs voisins, avaient l'irrévérence
 de lui tourner le dos (i). Il n'avait même pas le souci ou le tact, dans les circonstances
 exceptionnelles qui empruntaient à la présence d'un artiste célèbre un caractère
 particulier de solennité, de mettre une sourdine, pour un soir, aux privautés de mau-
 vais goût qu'il prenait ainsi avec les bienséances. « Il est fâcheux, disait un journal (2),
 de voir, dans des représentations d'apparat, le spectacle suspendu par du tapage et des
 sifflets pendant un quart d'heure ». Mais ces plaintes restaient vaines, et les habitudes
 invétérées gardaient force de lois.
       A la fin du mois de septembre 1824, Talma vint donner au Grand-Théâtre une
 série de représentations, les dernières dans lesquelles les Lyonnais aient eu l'occasion
 de l'applaudir avant sa mort. Le samedi 25 septembre, il joua Manlius, et il y avait une
telle affluence, les spectateurs étaient tellement pressés, « qu'un grand jeune homme
 de cinq pieds six pouces, qui gênait ses voisins, fut projeté du parterre au parquet ».
 Talma eut personnellement beaucoup de succès ; mais dès qu'il n'était plus en scène,
des cris indécents éclataient à l'adresse de ses partenaires et toute la représentation en
fut troublée. « On aurait cru, écrivait un critique d'alors, assister à des combats de
taureaux plutôt qu'à des jeux de la scène » (3).
       Le 28 septembre, Talma parut dans une tragédie de Jouy, Sylla. Ce jour-là, le
spectacle se poursuivit dans le calme ; mais comme, dès quatre heures de l'après-
midi, il n'y avait plus une place vide dans la salle, qu'il avait fallu installer des specta-
teurs jusque sur la scène, et qu'au-devant des coulisses régnait toute une rangée de
dames en grande toilette, « quelques-unes de ces dames, pour charmer les longues
heures de l'attente, se firent apporter des tables d'écarté ». Le parterre, de son côté,
pour tromper, lui aussi, son ennui, se livra à un jeu d'une autre sorte : il obligea les
hommes qui occupaient le devant des loges à céder leurs places aux dames reléguées
au second rang.
       « Un de ces Messieurs, racontait le journal (4) auquel j'emprunte ces détails,
imagina, comme Achille à la cour du roi de Scyros, de se couvrir d'un châle et du
chapeau de Déidamie. Le public fut quelque temps dupe de cette supercherie ; mais


     (1). C'est à quoi se rapporte notamment une phrase sibylline du Courrier de Lyon du 7 janvier 1834, ren-
dant compte d'une soirée où « la phrase classique aux Célestins fut entendue ».
     (3). Précurseur du 13 septembre 1839.
     (3). Journal du Commerce du 39 septembre 1834,
    (4). Journal du Commerce du 1" octobre 1834,