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     Quant à la commission de neuf membres, investie du pouvoir de se prononcer sur
les débuts, M. le maire n'arriva pas à la constituer ; il ne trouva qu'une personne dis-
posée à en faire partie, et encore celle-ci n'accepta-t-elle que pour avoir le plaisir de
déclarer à M. le maire qu'il avait mal fait. L'arrêté fut rapporté le 15 juillet, La situa-
tion était condamnée à rester sans changement, et deux ans encore après, un journal
relatant les scènes tapageuses qui se passaient presque quotidiennement, disait :
« C'est la seule musique qu'on entende au Grand-Théâtre ! » (1).




      Le public, quelques reproches que pût lui valoir une attitude semblable, au seul
point de vue de la dignité et du respect des convenances, était-il fondé du moins à se
montrer aussi implacable et aussi sévère { Il aurait fallu, pour cela, que son éducation
artistique fût plus complète et plus épurée, son goût meilleur, et il semble bien qu'il
n'avait que des instincts assez primitifs. La Presse le lui faisait entendre, de temps en
temps, avec plus ou moins de ménagements.
       « Qu'un artiste, écrivait un journal lyonnais de 1833 (2), ait le malheur de faire
une intonation, non pas fausse mais seulement douteuse, un coup de sifflet ne manque
jamais de le rappeler à l'ordre. Encore si un traitement aussi dur était toujours juste !
Mais que de traits de chant ont été mal reçus, dont le seul tort était de n'avoir pas été
compris ! Tant qu'il en sera ainsi, il n'y aura pas de théâtre possible à Lyon ».
       Ce qu'il fallait, pour obtenir les suffrages des habitués du Grand-Théâtre, et il
en a été ainsi jusqu'à une époque très voisine de la nôtre, c'était une voix vigoureuse et
fortement timbrée, capable de décrocher sans effort les notes les plus tendues,
d'atteindre et de tenir les degrés les plus élevés de la gamme. Peu importait la recher-
che de l'expression, le souci des nuances, le sens et la perfection du style. Duprez et le
répertoire des Meyerbeer et des Halévy, dont il avait été l'interprète attitré et magis-
tral, avaient mis à la mode ce procédé, assez grossier et assez sommaire de l'art, du
 chant, et tout lui était sacrifié.
       « Pour réussir dans le grand opéra, observait un critique judicieux de 1843 (3), il
 suffit de deux ou trois notes, et on fera bon marché de la tournure, de la diction, du
 sentiment, bref de toutes les qualités autrefois indispensables à l'artiste... On dirait
 vraiment que le peuple français a fait sa religion du si bémol et de l'ut de poitrine,
 tant il adore consciencieusement et avec des transports frénétiques ces notes de sa
 prédilection. »



     (1). Censeur du 30 octobre 1847.
     (2). Précurseur du 10 septembre 1833.
     (3). Censeur du 11 juin 1843.

     Rev. Lyon.