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entre ces deux dates et ces deux faits significatifs : 27 octobre 1831, première repré-
sentation de Guillaume Tell ; 13 février 1914, première représentation de Parsifal, il
serait intéressant de retracer le tableau complet et de marquer les phases successives,
en recueillant, jour par jour, dans les transformations et le renouvellement incessants
du répertoire, les indices de l'évolution du goût public. Cette incursion dans les
annales de notre première scène ne serait pas instructive, au surplus, qu'à ce seul
point de vue ; chemin faisant, elle nous ménagerait encore des aperçus singuliers, et
dignes d'être notés, sur des domaines qui n'ont apparemment avec l'art qu'une assez
lointaine connexité.
      C'est que notre Grand-Théâtre, toutes proportions gardées, bien entendu, a
joué parmi nous, au cours du xixe siècle, un rôle qui pourrait être rapproché de celui
du théâtre d'Athènes, chez les Grecs de l'époque classique. Il ne s'est pas borné à être
le temple des Muses, comme on disait lors de sa construction, le sanctuaire dédié au
culte d'un des arts que nous avons toujours le plus honorés, l'art musical, il a été, en
même temps et en quelque manière, le miroir de notre vie privée et publique. Presque
tous les événements importants de notre histoire y ont eu une répercussion et un
retentissement. Quand, sous la Restauration et la monarchie de Juillet, un prince de
la famille royale, sous le Second Empire l'Empereur ou l'Impératrice rendait visite à
notre ville, il y avait toujours une de leurs soirées, au moins, qui était réservée à une
représentation de gala au Grand-Théâtre, et par l'accueil qu'ils y recevaient, il leur
était permis de juger des dispositions d'esprit de la population à leur égard. La Révo-
lution de 1830, celles de 1848 et de 1870 y ont eu leurs échos dans les pièces de cir-
constance, les chants patriotiques, les à propos improvisés qui y furent exécutés, et
quand, à la suite de l'échec de la grande insurrection polonaise de 1832, les glorieux
vaincus de Varsovie vinrent chercher en France un refuge contre l'oppression russe,
ceux d'entre eux qui choisirent notre ville pour leur résidence momentanée, furent,
durant de nombreux soirs, dans l'enceinte de notre Grand-Théâtre, l'objet de
démonstrations enthousiastes, où les refrains alternés de la Marseillaise et de la Varso-
vienne, repris en masse par tout l'auditoire, se mêlaient à la tempête des acclamations.
      Il y aurait donc un chapitre curieux à écrire de l'histoire du xixe siècle, considérée
ainsi au travers de celle de notre scène lyrique, et qui prêterait, assurément, à plus
d'une peinture piquante et pittoresque. Mais, quelque séduisante qu'en puisse paraître
la tentative, mon ambition est moins haute, et dans ces pages hâtives, dont la réfection
de notre Grand-Théâtre est le prétexte, c'est quelques traits seulement de sa vie
anecdotique que j'ai dessein de consigner. Ils sont, au reste, assez typiques, pour
fournir la matière d'une étude amusante, et on pourra se convaincre, par ceux d'entre
eux que j'ai empruntés à une période antérieure à la construction même de l'édifice
actuel, qu'ils sont assez constants.


    A toutes les époques, en effet, il a tenu une grande place dans les préoccupations
de notre population. La salle que Soufflot avait édifiée en 1754 sur le même emplace-