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290                  JEAN-PIERRE BRUYÈRE.
 était tenu à des études sérieuses qui élevaient et agrandis-
 saient son esprit. Nous ne pouvons croire à la supério-
 rité intellectuelle et morale du raisonneur moderne sur les
 créateurs de cathédrales et de châteaux, les imagiers, les
 tisseurs d'étoffes, les imprimeurs, les forgerons, les fouil-
 leurs de pierre ou de bois dont les chefs-d'Å“uvre sont ve-
 nus jusqu'à nous. Trop souvent l'ouvrier sait tout de
 naissance ; il ne veut rien apprendre, rien étudier ; ce
 qu'ont fait les anciens est méprisable ; qui commande est
 un ennemi ; le travail, le saint travail lui-même est un es-
 clavage, un joug à secouer et à briser. Le bonheur, la vie,
 c'est le far niente à la brasserie, c'est le jeu, l'immoralité,
 l'ivresse etlla dégradation.
    Un jeune Lyonnais fait prisonnier par les Prussiens
 écrivait, en présence de la honte et de l'anéantissement
 de sa patrie, combien il regrettait ses cartes et sa bou-
 teille. Du reste il s'amusait. Quel chef-d'Å“uvre attendre
 de ces abâtardis ?
    A cette époque de ténèbres qui commence je ne sais où
et qui se termine à 1789, les ouvriers typographes savaient
le latin et lisaient le grec. Aujourd'hui, que la lumière
s'est faite, on ne saurait croire l'aplomb et l'ignorance qui
régnent dans la plupart des ateliers.
    Nous faisions observer à un compositeur que son épreuve
était chargée [de corrections et entre autres qu'il n'avait
pas mis de capitale à Jérémie.
    — Monsieur, répondit-il avec assurance, il y a eu plus
de six mille écrivains depuis le commencement du monde ;
je ne puis pas savoir leur nom à tous.
   Tel n'était pas l'homme vénérable qui nous occupe.
    Quoique ouvrier, quoique travailleur, Bruyère était aus-
tère, digne et fier. Il obéissait au devoir^ il l'aimait. Sa dé-
licatesse était sans accommodements, son honneur sans
flexibilité. Son chagrin, son ennui de toute sa vie a été de
ne pas trouver dans ses compagnons, ses apprentis, ses
ouvriers la même conscience délicate, la même noblesse