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J. TERRAS ET C c . 267
jeunesse, être presque jolie ; aimable, c'est douteux ; douce,
je n'en crois rien ; mais, a coup sûr, ce fut toujours une
femme de tête et de volonté. D'où sortait-elle donc? Cher-
chons un peu.
Il y avait jadis, je devrais dire hier, au centre du vieux
Lyon aujourd'hui régénéré, quelques-unes de ces rues im-
possibles dont la rue Noire offrait, de fait et de nom, le
fype le plus complet. C'est là que l'on trouvait ces maisons
couleur de suie , étroites de façade comme des caisses
d'horloge, hautes comme des tours, profondes comme des
cavernes, froides, humides, moisies. Yue de haut, ce n'était
point une rue, Ã proprement parler, que cette rue Noire,
c'était une crevasse. Ce qui grouillait dedans, Dieu le sait,
le soleil ne l'a jamais vu ; le jour, refusant d'y entrer , n'en
éclairait que les bords supérieurs. C'était donc à ces hau-
teurs seulement que les ouvriers en soieries, du reste peu
nombreux dans ces quartiers, pouvaient trouver assez de
clarté pour établir leurs métiers et rajuster leurs fils ténus.
Ceci explique l'opinion généralement répandue, malgré l'in-
vraisemblance, que Mme Terras, FannyBouchut de son nom
de famille, avait pu voir le jour dans la rue Noire ; je le
veux bien.
Son enfance s'était passée à faire des caneUes. Ceux qui
ne savent pas ce que c'est peuvent le demander, a Lyon, Ã
peu près a tout le monde. Vive, adroite, intelligente, la pe-
tite Fanny avait,,dès son adolescence, atteint une perfection
précoce dans le tissage des taffetas les plus délicats. Elle
avait résolu le problème de faire, éblouissants de fraîcheur,
des roses et des blancs dans la rue Noire. Mais, bientôt or-
pheline, elle avait vu vendre les humbles ustensiles de tra-
vail et le petit mobilier paternels, pour payer les dettes de
la succession, mangée par le chômage et la maladie. Restée
sans ressources, elle ne se découragea point : abandonnant