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270 J. TERRAS ET C'\ Au moment où commence ce récit, la maison Terras ayant depuis longtemps pris place au premier rang, Mme Terras, depuis quelques années, s'était peu a peu retirée des affaires actives pour goûter un repos qu'elle avait bien gagné. Mais elle avait laissé pour la remplacer deux sujets distingués, formés de bonne heure à son école, Léopold Certeau et Phi- lippe Charvet. Entrés fort jeunes dans la maison, ils avaient grandi avec elle, et leur activité, leur intelligence dignement appréciée et cultivée par leur patronne leur avait acquis une belle position. S'occupant, l'un de la vente, et l'autre de la fabrication de l'étoffe avec un égal succès, ils étaient devenus les deux pivots nécessaires de cette grande affaire el pre- naient une part considérable dans les bénéfices. Léopold Certeau, le vendeur de la maison Terras, était un homme de trente ans, à la figure intelligente et fine, aux manières déliées el gracieusement familières plutôt que dis- tinguées. Vif, alerte, avenant, il avait la parole facile et per- suasive, un coup d'œil rare en affaires, beaucoup de sang- froid, la mémoire sûre, le calcul foudroyant. Dépourvu d'instruction première, il avait su acquérir par lui-même assez de badigeon pour réaliser le type du parfait ven- deur, spécialité qui demande, il est vrai, plus de forme et de savoir-faire que de savoir. Le seul avantage qui lui man- quât, c'était de n'être pas boiteux : il l'était de naissance et beaucoup ; cela n'ôte rien au mérite du vendeur, mais cela peut nuire à l'homme. Léopold s'en était aperçu dans les tentatives matrimoniales où ses amis l'avaient quelquefois fourvoyé malgré lui. Il s'était bien vite dégoûté de ce genre d'entreprise, comprenant, avec sa finesse ordinaire, qu'il en pouvait résulter pour l'avenir des conséquences également boiteuses. Gai, content, déjà riche et sachant