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358 LA R E V U E LYONNAISE Agrippines en miniature prétendent inspirer ou régir les grands corps de l'Etat, parce que quelques demi-Philamintes ont entraîné la majorité qui a ouvert à leur protégé les portes de l'Institut, avons-nous trop de salons qui aient la noble préoccupation des choses de l'esprit? avons-nous surtout trop de femmes intelligentes qui soient l'âme d'une société d'élite, et sachent grouper autour d'elles, au nom de l'ascendant qu'exerce un esprit élevé, ce que notre langue appelle la bonne compagnie, ce qui ne veut point dire une réunion pédante et gourmée ? Il existe encore, Dieu merci, quelques salons semblables ;mais qu'ils sont rares! M. Pailleron a fait le Monde où l'on s'amuse : il vient de nous donner le Monde où l'on s'ennuie. N'a-t-il jamais songé à nous peindre le Monde où l'on croit s''amuser? ces salons qu'on déserte pour le fumoir, où l'on délaisse les femmes réduites à causer de toilette et à éplu- cher les absentes, où l'on ne revient que lorsque le jeu ou la danse donnent aux différents âges une occupation qui peut avoir un charme momentané, suivant les goûts, mais dont l'esprit ne retire aucun profit ? Ne décourageons donc point par le ridicule les trop rares maîtresses de maison qui tentent de donner à leurs hôtes habituels un autre genre de distractions. Tous les poètes ne sont point ab- surdes. Toutes les lectures de choses inédites ne forcent point à recourir à une feinte migraine pour s'y dérober. Je suis sûr que dans les petites réunions privilégiées où M. Pailleron a communi- qué les premières ébauches de sa pièce, le sommeil réel ou la migraine de convention étaient choses parfaitement inconnues. Il y a donc, dans la conception même de M- Pailleron, une cer- taine exagération qui en diminue la netteté. Ce monde où l'on s'ennuie est surtout le monde où l'ou intrigue. La littérature lui sert d'enseigne comme en un autre siècle on eût pris pour enseigne la dévotion, ou même, suivant les temps, la galanterie et le plaisir. L'esprit d'intrigue est l'un des côtés de la nature féminine, et à ce titre il est essentiellement du domaine de la comédie. Le goût de l'intrigue est une de ces passions qui dominent une existence, mais qu'on n'avoue jamais : autre côté comique, puisqu'il s'agit de dévoiler l'une des nombreuses hypocrisies d'un monde où la convention est toujours à l'œuvre pour dissimuler la vérité. Le salon lettré de Mm" la comtesse de Céran est avant tout pour elle un