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                 LE MONDE OU L'ON S'ENNUIE                        359
 moyen d'action. Les lettres étaient pour Philaminte la passion
 réelle, sincère, de toute sa vie ; elle était de bonne foi une femme
 savante. Mmc de Céran, tout bien calculé, s'est dit qu'elle en tien-
 drait l'emploi, et finit par jouer consciencieusement son rôle. Im-
mense différence, et que M. Pailleron n'a pas suffisamment mar-
 quée, bien qu'elle pût suffire à donner à son œuvre un caractère
 original et à la distinguer des imitations serviles de Molière !
 Un dessin ferme, aux contours nets et bien arrêtés, atteste la
 main d'un grand maître. Ceux qui ne font que marcher sur ses
traces, les imitateurs même les mieux doués, ont toujours dans
la main quelque mollesse ou quelque indécision.
    Ces réserves faites, entrons dans l'analyse, et tout d'abord
donnons à l'exposition l'éloge le plus mérité. C'est une chose digne
de remarque que, dans un assez grand nombre de pièces de notre
temps, le premier acte soit ce qu'il y a de meilleur. La raison en
est assez simple. Nous ne manquons point de talents : les esprits
ingénieux et diserts abondent dans notre littérature. Avoir quel-
ques idées, même_une seule idée, n'est pas sans doute chose si
commune. Cela se voit pourtant, et en y regardant de près, on
découvre facilement que l'idée est parfois excellente ; mais savoir
tirer d'une idée tout ce qu'elle contient en germe ; mener cres-
cendo jusqu'à la fin cet intérêt qu'on a su exciter par quelques
scènes vivement enlevées, il faut pour cela plus que du talent.
Nous Amenons de voir que deux: comédies s'entre-croisent dans
l'œuvre de M. Pailleron : la satire de l'esprit d'intrigue et la
satire du bel esprit. Une seule de ces données eût suffi à Molière
ou à Regnard ; des deux réunies M. Pailleron va tirer une bonne
comédie, c'est incontestable ; mais sur aucune des deux il n'aura
dit le dernier mot non seulement de l'art, mais même de la comédie
 contemporaine. Il a élevé un fort joli édifice ; mais ce petit palais
borde une avenue le long de laquelle on pourra en élever d'autree.
 Il n'est pas le terme de la perspective.
   Donc la comtesse de Céran tient un salon moitié politique, moitié
littéraire, où se font et défont les renommées, et surtout où se don-
nent les places; car le monde qui s'y coudoie est très positif. Chez
Philaminte autrefois, on annonçait comme grande nouvelle qu'un
nouveau corps céleste