Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
12                       LA R E V U E LYONNAISE

 pour une parole. » Il juge, en outre, « que les hommes sont devenus
 moins libres, moins courageux, moins portés aux grandes entre-
 prises qu'ils n'étaient lorsque, par cette puissance qu'on prenait sur
 soi-même, on pouvait à tous les instants échapper à toute autre
 puissance1. »
    Il est difficile de répondre à ces raisons d'une manière précise
 car ce ne sont pas des raisons positives, mais de simples insinua-
 tions que l'on a de la peine à prendre corps à corps. Que l'usage de
 se tuer, ne soit pas plus déraisonnable que celui d'égorger son am
 pour un rien, admettons-le : s'ensuit-il qu'il ne soit pas déraison-
 nable ? Que les hommes soient devenus moins libres, moins coura-
 geux, moins entreprenants, depuis que le nombre des suicides a
 diminué, c'est une assertion qui peut ouvrir le champ à des discus-
 sions sans fin. D'abord, le nombre des suicides a-t-il diminué? cela
 est on ne peut plus problématique. Ensuite, les hommes sont-ils
 devenus moins libres, moins courageux et moins entreprenants
 qu'autrefois ? encore une proposition qui aurait besoin d'être dé -
 montrée. Enfin, le développement de la liberté, du courage et de
 l'esprit d'entreprise a-t-il toujours été proportionné à la fréquence
 des suicides ? cela n'est pas prouvé le moins du monde. Le suicide
 fut plus fréquent à Rome du temps des empereurs que du temps de
la république ; l'Angleterre et les Etats-Unis, les plus libres et
les plus entreprenants de tous les peuples, n'occupent l'un qu'un
rang moyen, l'autre qu'un rang inférieur dans l'échelle de la mort
volontaire. Cet esprit d'entreprise que Montesquieu semble regret
ter, ce n'est pas le sentiment.que l'on a de pouvoir se délivrer des
misères de la vie, c'est l'initiative individuelle inhérente à certaines
races et aussi les institutions libres qui lui donnent naissance.
    Après avoir exposé les raisons qui ont été alléguées en faveur
du suicide par différents philosophes tant anciens que modernes,
nous ne pouvons omettre celles que J.-J. Rousseau a développées
avec tant d'éclat dans la Nouvelle Héloïse et qui sont, du reste, gra -
vées dans toutes les mémoires: « Plus j'y réfléchis, dit-il, plus je
trouve que la question se réduit à cette proposition fondamentale :
chercher son bien et fuir son mal en ce qui n'offense point autrui,
 1
     Montesquieu, Grandeur et Décadence des Romains, ch. xn.