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260 LA R E V U E LYONNAISE Est chu tout au travers de notre tourbillon. Ce qui intéresse davantage aujourd'hui, c'est la nouvelle du décès d'un homme en place et la poursuite de sa succession. Mais la comtesse de Géran ne fait pas seulement recueillir les successions vacantes ; sa protection est toute-puissante pour obtenir de l'avan- cement, et c'est ce 'qui amène chez elle le sous-préfet Paul Ray- mond, admis à l'insigne honneur de lui présenter sa jeune femme, mais encore plus touché de l'espoir de quitter, pour devenir préfet, sa sous-préfecture d'Agenis où il s'ennuie. Ennui pour ennui, il vaut encore mieux venir pendant quelques jours à Saint-Germain bâiller chez la comtesse, puisque c'est le plus sûr moyen de sortir d'Agenis. Les recommandations qu'il fait à sa jeune femme Jeanne forment l'exposition de la pièce. On peut trouver qu'il s'y prend un peu tard ; ces recommandations auraient pu faire le délassement de la route; mais nous ne les aurions pas entendues. Il a fallu de tout temps pardonner quelque chose aux exigences de la scène. Les héros de tragédie attendaient aussi le premier acte pour raconter à leur confident l'histoire de leur passé. Disons tout de suite que Jeanne Raymond est mieux qu'une confidente, c'est une précieuse auxiliaire et une admirable complice. Jeune, rieuse, vivement éprise de son mari, elle va prendre avec un imperturbable sérieux les mines graves, les allures pédantes. Le vous le plus correct remplacera le lu 'sur ses lèvres. Les citations émailleront ses dis- cours avec d'autant plus d'aisance qu'elle les improvisera. Quel- ques noms d'auteurs et beaucoup d'aplomb en leur attribuant sa propre prose, c'est plus qu'il n'en faut pour paraître une lec- trice érudite. Et combien d'éruiits eu titre ont usé parfois du même procédé! La où les idées manqueat, les mots viennent à propos pour y suppléer, a dit Gôthe. Jeanne Raymond a les idées, il ne ne lui manque que les noms. Qui lui fera un crime de les pêcher au hasard? Elle réussit ainsi, et chez Mm" de Géran et dans le pu- blic parisien. Elle a un « comme a dit M. de Tocqueville » qui est charmant et qui a déjà fait fortune.Il sera proverbe à Paris pendant au moins cinq ou six mois ; ce qui est beaucoup pour Paris et pour le temps qui court.