Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
104                  LA REVUE LYONNAISE
des allures de gardes du corps, tous Normands, tous taillés en cui-
rassiers, tous avec de grosses moustaches blondes. C'était la bande
des Rouennais, fanatiques de Bouilhet, et donnant aux premières
représentations comme un seul homme.
    Et Amédée Rolland, Jean du Boys, Bataille, bande plus jeune,
entreprenante, qui essayait de se faufiler par la petite porte, à l'om-
bre du grand carrick de Tisserant. Plus tard, je les ai connus et
aimés. Tous trois sont morts, comme Bouilhet, comme mon pauvre
grand Flaubert, et c'est pourquoi ces galeries del'Odéon, à certains
soirs, me semblent se peupler de leurs ombres mélancoli-
 ques.
    M. de la Rounat dirigeait alors le théâtre. Un vrai directeur
 littéraire, grand ami des jeunes gens et des pièces en vers. Je lui
 portai un petit acte ; il le lut et le refusa, mais il m'octroya mes
 entrées. J'avais mes entrées, je jetais en passant mon nom :
 « Alphonse Daudet » au contrôleur ; on pouvait me prendre pour
 un auteur joué, dès lors mon ambition déploya ses ailes.
    Mon volume de vers se trouvant prêt, je me mis bravement à le
 promener chez tous les libraires de la capitale, chez Lévy, chez
 Hachette, oùsais-je encore! dans de grandes diablesses de librairies
 sonores comme des cathédrales, où mes bottines craquaient tou-
 jours et faisaient, malgré les tapis, un bruit ridicule. Et puis des
 employés à tète administrative, concis et froids comme des chefs
 de bureau! La mode des tuyaux acoustiques était alors toute nou-
 velle. J'arrivais :
   — Je désirerais parler à M. Lévy pour un manuscrit.
   — Bien, Monsieur, voudriez-vous me dire votre nom ?
   Je disais mon nom. L'employé, gravement, faisait la moue dans
un des cornets, puis fourrait son oreille dans l'autre.
   — M. Lévy n'y est pas !
   M. Lévy n'y était jamais, ni Hachette non plus, ni personne, et
tout cela par la faute des ces affreux tuyaux acoustiques.
   Il y avait encore la Libraire Nouvelle, sur le boulevard des Ita-
liens. Là pas de tuyaux acoustiques, pas d'allures administratives,
bien au contraire ! On voyait là Noriac qui venait de publier le
Cent-Unième ; Scholl, tout joyeux des succès et des procès de sa
Denise; Adolphe Gaiffe, toujours jeune, avec les traditions des