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90 LA REVUE LYONNAISE dans tout homme sain et bien organisé entre la pensée et l'action, n'est pas rompu chez eux en faveur de la première. On n'y trouve guère de ces sujets mous, contemplatifs et rêveurs, dans le mauvais sens du mot, qui sont si communs dans les grandes villes et aux- quels seuls s'applique le mot de Rousseau: «L'homme qui pense est un animal dépravé. » — Ensuite l'équilibre qui doit exister entre la raison et la sensibilité n'est pas non plus rompu chez eux en faveur de celle-ci, comme cela a lieu trop souvent chez ceux qui vivent au sein de nos sociétés raffinées et maladives. L'homme primitif, n'ayant pas sous les yeux le spectacle corrupteur de l'ex- trême misère et de l'extrême opulence, n'est pas emporté vers celle- ci par une de ces passions dévorantes, qui ne connaissent pas de frein. Il ignore les combats acharnés qui se livrent dans la sphère de l'industrie, les vastes spéculations qui tantôt élèvent ceux qui les font au faîte des grandeurs, tantôt les replongent dans une obscurité qui leur semble pire que le néant. Vivant dans le calme des champs, livré à des travaux utiles, qui n'excitent dans son cœur ni des espérances sans limites ni des craintes immodérées, il voitar» river la mort sans effroi, mais rien ne le porte à hâter sa venue. On s'est souvent demandé s'il n'y aurait pas moyen de guérir cette maladie du suicide qui semble sévir contre le genre humain avec d'autant plus d'intensié qu'il se civilise davantage. Ce serait sans doute un dessein chimérique que celui d'extirper le mal dans sa racine; mais il n'y a rien d'absurde à essayer d'en diminuer la violence. Il en est de ce fléau comme du vol, de l'homicide, de l'ivro- gnerie, de l'incontinence, en un mot, comme de la plupart des crimes et des vices qui éclatent parmi les hommes et qui ont leur principe dans notre constitution : on peut l'atténuer, bien qu'on ne puisse pas le détruire. Indiquer les causes du suicide, c'est indiquer indirectement les remèdes à employer soit pour le prévenir, soit pour le guérir ; car, les causes une fois connues, on peut espérer de les supprimer et de supprimer leurs effets par cela même. C'est une tâche qui incombe aux moralistes et aux législateurs, c'est-à -dire à ceux qui étudient les sciences morales et sociales. Ou ces sciences, en effet, ne servent à rien, ou elles servent à lutter contre les maux qui viennent de l'homme et de la société, comme les sciences physiques et