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LE MONDE OU L'ON S ' E N N U I E 357 mots heureux que l'auteur souligne légèrement sans trop y insis- ter, en homme riche qui sait que ses provisions dépassent ample- ment sa dépense; puis un comique de bon aloi, sans mélange de ces tirades qui gâtent tant de pièces récentes. Ses personnages cau- sent en effet sans disserter, et ils causent parce qu'ils vivent et ne sont point de simples prétextes à l'émission des idées de l'auteur. Était-il bien nécessaire de refaire en notre temps les Précieuses ridicules ou les Femmes savantes ? car c'est bien de ces deux chefs-d'œuvre de Molière que procède l'imitation assez heureuse de M. Pailleron, et quelques parcelles du grand et bel héritage de Molière sont bien parvenues jusqu'à lui. Les prétentions à la philosophie, les vaines et fastueuses apparences du savoir et du bon goût, substituées au vrai mérite et à la distinction réelle, sont de tous les temps. Le costume peut varier, les allures se modifient, mais le travers persiste, et bien qu'il ait été dépeint par Molière en traits ineffaçables, les simples changements de circonstances ou de décor que réclament les mœurs modernes, justifient un écrivain de talent d'entreprendre sur ce vieux sujet une comédie nouvelle. Ni Cathos ou Madelon, ni Philaminte ou Bélise ne songeaient à réformer l'Etat. Huit chapitres du plan d'une académie à fonder étaient leur suprême tentative de révolution. Aujourd'hui les pré- cieuses parlent politique, patronnent des journaux, fondent des re- vues, distribuent des places, et une demi-douzaine de députés rece- vant d'elles leur horoscope flattent infiniment plus leur orgueil que la demi-douzaine de beaux esprits dont les Philamintes du temps passé rêvaient de se voir entourées. Nos profondes divisions poli- tiques et religieuses ayant partout accentué les rivalités ou semé des germes de discorde, les cabales prennent le plus souvent la place de ce qu'on eût appelé jadis les compétitions légitimes. Le monde où l'on cabale est ainsi justiciable de la comédie, et si quelques salons se vantent d'être devenus les coulisses des assem- blées politiques ou de l'Institut, pourquoi l'œil du public ne pou- rait-il pas y pénétrer, et voir sur la scène elle-même ce que ces coulisses semblent receler ? Mais ce monde où l'on cabale est-il le monde où l'on s'ennuie? Est-il surtout le monde où l'on prend quelque vrai souci de la littérature, des sciences, de la philosophie ? Parce que quelques