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348 LA REVUE LYONNAISE armée, et tous les habitants effrayés s'empressèrent de cacher leurs objets les plus précieux : « Pour moi, je cachai mes livres », nous dit-il. Le fond de son érudition, c'était naturellement la Bible et les livres saints; mais il connaissait aussi les auteurs de l'anti- quité romaine et il cite a diverses reprises Cicéron, Virgile, Sénè- que et surtout Ovide. Il n'ignorait pasnon plus la littérature de son temps; il cite un grand nombre dé traités sur les sujets les plus variés, beaucoup de vers et souvent de petits poèmes en entier. Mais il avait une prédilection particulière pour les livres de pro- phéties; il commente avec passion Merlin l'enchanteur, les Sibyl- les, Joachym de Flore, ce dernier surtout. Il fut même pendant longtemps, quoiqu'il s'en défende un peu, un des partisans con- vaincus du joachymisme, cette doctrine étrange, qui se rattache par la forme à l'Apocalypse, et qui, par le fond, est une aspira- tion prématurée vers la réforme de l'Eglise '. Les événements ne se présentèrent pas à l'échéance fixée par les prophètes de la doc- trine, et celle-ci fut solennellement condamnée par l'Église. Dès lors Salimbene s'en détacha, mais avec un regret visible. L'histoire fut aussi — on peut employer le mot sans crainte d'exagérer — une des passions de Salimbene. Il nous fait part de ses préférences pour certains personnages historiques: « Trois fem- mes, nous dit-il, me sont particulièrement sympathiques, quoique d'autres puissent en faire peu de cas, Hélène, mère de l'empereur Constantin, Galla Placidia, mère de Valentinien et la comtesse Mathilde. » l i a une haute idée du rôle de l'historien : l'historien doit être impartial et neutre (persona communis); il doit se garder de taire le bien et de ne raconter que le mal. On lit à chaque page dans sa Chronique : « Je l'ai vu de mes yeux », ou : « Je l'ai appris d'un té- moin oculaire », ou bien encore : « J'ai connu tous les personna- ges dont je parle, et j'ai vécu avec eux. » Cette insistance sur l'o- rigine directe de ses renseignements est de nature à nous inspirer en ses récits la plus grande confiance. On ne peut vraiment être de meilleure foi que lui ; car, lorsqu'il lui arrive de s'écarter de la 1 Lire sur ce sujet un intéressint article de M, Renan dans la Reçue des T)e'nx Mondes (1867).